À qui incomberait la responsabilité pénale d’un mort par arme à feu sur le tournage d’un film en France ?
« Je suis anéanti ». Telles furent les premières paroles de Joel Souza, réalisateur du film « Rust », blessé le 21 octobre 2021 et apprenant la mort d’Halyna Hutchins, directrice de la photographie. En cause, un tir à balle réelle effectué par l’acteur américain Alec Baldwin lors du tournage d’une scène.
Inculpé pour homicide involontaire, l’acteur aux multiples Golden Globes plaidait non-coupable. Les Procureurs Kari T. Morrissey et Jason J. Lewis, qui ont repris le dossier d’accusation en mars 2023, ont finalement abandonné les poursuites à son encontre pour se concentrer sur le rôle que pourrait avoir joué l’armurière Hannah Gutierrez-Reed. S’ils semblent pointer la responsabilité de cette dernière, la question se pose de la possibilité d’un tel accident lors d’un tournage en France. Que dit la législation française sur les armes utilisées dans le cinéma ? Qui serait responsable pénalement d’un tir à balle réelle effectué lors d’une prise, et plus encore si des morts et/ou des blessés étaient à déplorer ? La loi répond à cette problématique par des règles rigoureuses.
En France, les armes sont classées selon 4 catégories, de A à D, en fonction de leur dangerosité, et régies par les dispositions des articles L. 311-2 à L. 317-2 du Code de la sécurité intérieure.
L’on retrouve ainsi dans la catégorie A1 les armes à feu de poing permettant le tir de plus de 21 munitions sans réapprovisionnement, accompagnées d’un système d’alimentation de plus de 20 cartouches et les armes à feu camouflées sous forme d’un autre objet ; dans la catégorie A2 ,les armes à feu à répétition automatique, leurs éléments spécifiquement conçus pour elles et tout dispositif additionnel permettant le tir en rafale avec une arme semi-automatique ; dans la catégorie B, les armes à feu de poing, certaines armes à feu d’épaule et les armes à impulsion électrique provoquant un choc électrique à distance et certaines à bout touchant ; dans la catégorie C, certaines armes à feu d’épaule tels que les fusils de chasse, les armes et lanceurs dont le projectile est propulsé de manière non pyrotechnique avec une énergie à la bouche supérieure ou égale à 20 joules ; et dans la catégorie D, les poignards, les armes conçues exclusivement pour le tir de munitions à blanc, à gaz ou de signalisation et non convertibles pour le tir d’autres projectiles, les munitions de ces armes et certaines armes historiques et de collection ou reproductions définies par l’article L311-3 du Code de la sécurité intérieure.
En matière de spectacle, et donc de cinéma, l’emploi des armes sur les plateaux de tournage obéit aux dispositions prévues par le décret n° 2018-542 du 29 juin 2018 relatif au régime de la fabrication, du commerce, de l’acquisition et de la détention des armes, lesquelles ont été insérées dans le Code de la sécurité intérieure.
Les dispositions de l’article R. 312-26 dudit Code, et résultant de ce décret, prévoient ainsi que « Les entreprises qui se livrent à la location d’armes à des sociétés de production de films ou de spectacles, ainsi que les théâtres nationaux peuvent être autorisées à acquérir et à détenir des armes de spectacles des catégories A et B ».
La notion d’« armes de spectacle » que l’on retrouve dans ces dispositions est définie à l’article R. 311-1 3° du Code de la sécurité intérieure comme « toute arme à feu transformée spécifiquement pour le tir de munitions à blanc, notamment lors de représentations théâtrales, de séances de photographies, de tournages de films, d’enregistrement télévisuels, de reconstitutions historiques, de parades, d’évènements sportifs ou de séances d’entraînement, dont les caractéristiques excluent le tir ou la conversion pour le tir de tout projectile ».
Aussi, la remise de ces armes aux acteurs et figurants pour les besoins du tournage engage, selon les dispositions de l’article R. 312-58-1, la responsabilité des producteurs de films, des directeurs d’entreprises de spectacles ou des organisateurs de spectacles. Elles précisent également qu’elle doit être circonscrite « au temps nécessaire au tournage ou au spectacle ».
Une fois remise, leur utilisation exige le respect de conditions strictes énoncées par les dispositions de l’article 38 figurant en annexe de l’arrêté du 15 octobre 2016 relatif aux mesures de prévention à prendre dans la production de films cinématographiques et audiovisuels : d’une part, l’utilisation des armes à feu chargée à blanc ou à demi-charge ne peut avoir lieu hors la présence d’un armurier ; d’autre part, le tir face à un tiers et à moins de 5 mètres est interdit, outre le fait que l’installation d’un écran de protection doit être systématique. Aussi, toute utilisation d’armes blanches sur une scène de tournage doit être précédée d’une répétition conduite sous la responsabilité d’un maître d’armes.
Ces dispositions visent à ce que les armes et les munitions employées sur les plateaux garantissent une totale sécurité aux acteurs, figurants et membres des équipes de tournage. Elles permettent aussi aux acteurs et figurants d’être dégagés de toute responsabilité. En effet, les rôles et responsabilités assignées par la loi sont tels qu’aucun accident ne doit pouvoir trouver sa cause, sauf acte malveillant lié à des circonstances extérieures, dans l’une des étapes de la procédure de remise et d’utilisation de l’arme. Aucun accident ne doit pouvoir résulter des gestes et mouvements prévus au scénario, et que les acteurs et figurants sont appelés à interpréter.
Ces précautions légales ne sauraient toutefois empêcher un accident si elles n’étaient pas scrupuleusement respectées. Comme dans le cas d’Alec Baldwin, les infractions d’homicide involontaire (article 221-6 du Code pénal) ou de violences involontaires (article 222-19 du Code pénal), « par maladresse, imprudence, inattention, négligence ou manquement à une obligation de prudence ou de sécurité imposée par la loi ou le règlement », passent pour être les qualifications les plus évidentes à retenir.
Si l’on pense aussi que, à la lumière du droit positif, l’armurier pourrait être le coupable évident, les enquêteurs ne sauraient renoncer à investiguer sur le choix des armes employées, des entreprises engagées, sur les procédures de vérifications et les conditions du tournage litigieux que certains comédiens, connus pour leurs caprices susceptibles de bouleverser l’organisation prévue par la production, pourraient avoir influé. Autant de situations qui pourraient avoir des conséquences pénales…
Le film « Rust » rappelle ainsi que, si les impératifs de sécurité exigent qu’aucune arme ou munition létale ne puisse entrer sur une scène de tournage, la participation de nombreuses personnes et entreprises doit susciter plus d’attention encore, au risque d’être mortelle.
Sahand SABER – Avocat au Barreau de Paris
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