Plan de déconfinement : les maires face au risque de poursuites pénales

Interrogé par les députés le 27 avril dernier, le Premier ministre Édouard Philippe a annoncé que le plan de déconfinement accordera une place au dialogue entre les territoires et le gouvernement, afin d’éviter au mieux toute recrudescence de l’épidémie de COVID-19. « Dans les départements rouges, toutes les communes ne sont pas affectées de la même façon», a-t-il déclaré, en exprimant le souhait d’ « une logique qui commande des effets et qui commande l’esprit du partenariat entre les élus locaux et les acteurs de terrain ».

Selon le Premier ministre, le gouvernement et les acteurs de terrain doivent entretenir « une discussion intense, précise, confiante, pour prendre les bonnes mesures ». L’esprit est ainsi « plus important à comprendre que la règle, parce que c’est celui qui va nous permettre de piloter finement et efficacement la maîtrise de la circulation du virus ».

Le gouvernement promet donc d’être attentif : « un maire nous dit que dans telle commune, compte tenu de l’explosion du nombre de cas, on n’est pas encore prêt, et bien on discutera avec eux et on comprendra la spécificité de la situation dans cette commune, pour essayer de trouver la bonne façon, le bon rythme, d’ouvrir l’école », a poursuivi le chef du gouvernement.

Cette nécessité d’impliquer les élus locaux, en particulier les maires, est d’autant plus grande que les inquiétudes se cristallisent autour de la question de la réouverture des écoles et des moyens accordés par l’État à ses communes. Les élus dénoncent déjà le risque pénal auquel ils s’exposent en cas de recrudescence du virus sur leur commune. Cette crainte pourrait en effet entrainer avec elle une paralysie, ou à tout le moins une limitation, dans l’action des pouvoirs publics.

Sont ainsi régulièrement invoquées les dispositions de la loi Fauchon du 13 mai 1996 qui ont ajouté au Code général des collectivités territoriales un article L. 21-2334 spécifique à la responsabilité pénale des maires. Aux termes de ce texte, la responsabilité pénale des maires peut être engagée au titre des délits non intentionnels à la condition qu’il soit établi « qu’il n’a pas accompli les diligences normales compte tenu de ses compétences, du pouvoir et des moyens dont il disposait ainsi que des difficultés propres aux missions que la loi lui confie ». Ces dispositions imposent donc au juge d’apprécier les actes du maire, à la lumière des moyens dont il disposait des difficultés qu’il devait surmonter.

Mais la vraie cause des inquiétudes des élus se trouve dans les dispositions de l’article 121-3 qui s’appliquent en concours avec celles de la loi Fauchon. Aussi, si le premier alinéa énonce qu’« il n’y a point de crime ou de délit sans intention de le commettre », les alinéas 3 et 4 prévoient des exceptions qui fondent ces inquiétudes.

L’alinéa 3 prévoit en effet la possibilité d’engager des poursuites en cas de faute d’imprudence, de négligence ou de manquement à une obligation de prudence ou de sécurité prévue par la loi ou le règlement, s’il est établi que l’auteur des faits n’a pas accompli les diligences normales compte tenu, le cas échéant, de la nature de ses missions ou de ses fonctions, de ses compétences ainsi que du pouvoir et des moyens dont il disposait.

L’alinéa 4 précise que les personnes physiques, même si elles n’ont pas causé directement le dommage, encourent également s’exposent également à des poursuites pénales dans l’hypothèse où le décideur local a créé ou contribué à créer la situation qui a permis la réalisation du dommage ou qui n’a pas pris les mesures permettant de l’éviter.

L’article 121-3 prévoient à la fois le cas où le lien entre la faute de l’agent et la réalisation du dommage serait établi et le cas où ce lien n’existerait pas. C’est dire que ces deux paragraphes font craindre aux acteurs locaux une mise en cause quasi-automatique de leur responsabilité pénale et de grandes difficultés à pouvoir débattre des faits et du droit en cas de poursuites.

Concernant les dispositions de l’alinéa 4, les probabilités pour qu’un élu créé ou contribue à créer la situation qui a permis la réalisation du dommage sont réduites. Le délit par imprudence, négligence ou manquement à une obligation de prudence ou de sécurité et les manquements dans les prises de mesures permettant de l’éviter sont en revanche plausibles.

Aussi, soucieux d’affiner l’interprétation de la notion de délit non-intentionnel, et peut-être de rassurer les justiciables sur la rigueur avec laquelle la Haute cour préconise l’application de ces dispositions, l’ancien Président de la Cour de cassation Bruno Cotte déclarait dans un article publié en 2006 qu’il s’agissait d’une « une défaillance inadmissible dans une situation qui mérite une attention soutenue, en raison des dangers ou des risques qu’elle génère ».

Les risques liés au déconfinement posent ainsi une difficulté particulière pour les maires à qui le gouvernement exprime sa confiance, sans pour autant les avoir assurés des aides que l’État leur apportera en cas de besoin. C’est pourquoi l’hypothèse d’une deuxième vague de contamination au COVID-19 liée au déconfinement doit immédiatement faire réagir les autorités locales sur les mesures à prendre en amont, à l’image de celles que le monde de l’entreprise applique déjà pour délimiter et circonscrire le risque pénal.

L’enjeu principal pour les élus est de mettre en place toutes les mesures nécessaires la protection de leurs administrés, seul moyen de diminuer le risque pénal que leur fonction leur fait encourir : les municipalités doivent évaluer les risques de circulation du COVID-19 dans les établissements scolaires et les différentes zones de leur ville. Des mesures de gestion interne à l’administration doivent être prises, avec la désignation de personnes chargées de surveiller la bonne application des mesures d’hygiène et de sécurité.

La fluidité de l’information doit également être considérée comme prioritaire car la mise en œuvre de mesures destinées à lutter contre les risques de contamination exige l’implication de tous les acteurs de la chaine sanitaire. Si des défaillances sont constatées, les besoins pour y remédier doivent être identifiés. Et si les besoins exigent l’intervention immédiate de l’État, les autorités locales doivent au plus vite faire remonter une information claire et détaillée.

En somme, la transparence ne relève plus de la seule éthique en politique mais bien de la protection juridique des élus et de l’efficacité dans leur action.

Aussi, quand bien même les inquiétudes sont légitimes, nous pouvons nous montrer rassurants : depuis le début de cette crise, les acteurs du terrain montrent un dévouement total à leurs administrés et témoignent d’une grande maitrise de la situation. Les clivages partisans se sont effacés face à la nécessité d’unité et ont encouragé la discipline et le respect des mesures chez les Français. Gageons que cet effort collectif se poursuivra.

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