L’association entre un personnage de fiction et un logo déposé suffit-elle à altérer le caractère distinctif d’une marque ?

Aux termes d’un récent jugement en date du 6 juin dernier, le Tribunal de Première Instance de l’union Européenne a confirmé la décision de l’EUIPO ayant estimé que le célèbre logo oval présentant en son centre le célèbre sigle de la chauve-souris, et illustrant le célèbre personnage de Batman,  présentait un caractère distinctif pour désigner notamment des vêtements et autre articles de déguisements.

L’occasion est donnée de revenir sur la nouvelle aventure juridique vécue par le célèbre Chevalier Noir de Gotham.

Dans les faits, deux requérants d’origine italienne sollicitaient  l’annulation de la décision de la deuxième chambre de recours de l’Office de l’Union européenne pour la propriété intellectuelle (EUIPO) du 6 septembre 2021 (affaire R 1447/2020-2) ayant débouté ces derniers d’une demande de nullité de la marque figurative déposée le 1er avril 1996 par le célèbre éditeur DC COMICS.

Le cercle ovale dans lequel est inséré une chauve-souris avait été déposée pour des produits de classe 25 à savoir les  « Chapeaux et casquettes ; shorts ; vestes ; chemises ; sweatshirts ; chemisettes ; débardeurs ; gants et moufles ; pantalons ; costumes ; pantoufles ; chaussons ; bonneterie ; tongs ; sandales ; chaussures et bottes ; ceintures en tissu »  mais également en classe 28 pour des « Masques (sauf pour le sport) ; badges, objets de cotillon et chapeaux de carnaval ».

Or, et de manière assez surprenante, l’une des requérantes avait sollicité devant l’EUIPO la nullité de la marque contestée pour des produits n’étant désignée directement dans le libellé :

–        classe 25 : « Costumes, costumes de théâtre, costumes de mascarade, costumes de danse, costumes pour la fête d’Halloween, costumes de carnaval, costumes pour les fêtes déguisées, masques et/ou tenue complète, chapellerie, corsets [vêtements de dessous], caleçons, blouses, collants, ceintures, chaussures, housses pour chaussures et capes, en rapport avec le personnage de Batman et/ou destinés à être portés pour représenter le personnage de Batman » ;

–        classe 28 : « Masques, boutons d’ornement, articles pour cotillons et chapeaux de fête, en rapport avec le personnage de Batman et/ou destinés à être portés pour représenter le personnage de Batman ».

Par décision en date du 21 mai 2020, la division d’annulation de l’EUIPO a refusé de faire droit à la limitation de la demande en nullité formée dès lors que celle-ci désignait des produits non compris dans le libellé de la marque de la société DC COMICS.

Confirmant un tel raisonnement, la Chambre des recours de l’EUIPO a également jugé dans sa décision du 6 septembre 2021 que le logo illustré par la chauve-souris était «  toujours associé à son éditeur » et que faute de preuve contraire apportée par les requérantes, il n’était pas démontré qu’au moment de son dépôt, la marque contestée « était associé à une autre origine », de sorte que le consommateur d’attention moyenne reconnaissait immédiatement « l’origine dudit logo » comme étant celui du célèbre DC COMICS.

Le Tribunal de Première Instance de l’Union Européenne valide logiquement cette analyse, et rappelle qu’il importe peu que la marque renvoie au célèbre personnage de Batman dès lors que celle-ci identifie les produits qu’elle désigne (point 32 du jugement) :

« En deuxième lieu, il est constant que la marque contestée renvoie, pour le public pertinent, au personnage de Batman. Toutefois, contrairement à ce que soutiennent les requérants, il convient de relever que la circonstance que cette marque soit associée à un personnage de fiction ne permet pas, à elle seule, d’exclure que ladite marque puisse également indiquer l’origine des produits en cause ».

Dès lors, le seul fait de faire référence à une œuvre de l’esprit extrêmement connue par le consommateur d’attention moyenne, ne suffit pas à remettre en cause la fonction d’origine d’une marque, dont la distinctivité s’apprécie au moment du dépôt.

Ainsi et depuis le 1er avril 1996, le Tribunal a considéré, à l’instar de la division d’annulation de l’EUIPO que les moyens de preuve soumis à son examen n’étaient pas de nature à démontrer une absence d’association par le public pertinent entre le fameux logo et la société DC COMICS (points 41 et 42 du jugement).

En effet, le Tribunal a constaté au regard des éléments de preuve versés aux débats que le public pertinent associait le logo litigieux à la société déposante, qu’il s’agisse de bandes dessinées ou encore d’extrait Wikipédia faisant expressément référence à un tel lien (Points 33,39 et 38 du jugement)

Le Tribunal rappelle ainsi que la fonction d’origine de la marque est avant tout d’identifier l’origine commerciale du produit ou du service (arrêts du 23 octobre 2003, OHMI/Wrigley, C‑191/01 P, EU:C:2003:579, point 30, et du 27 février 2002, Eurocool Logistik/OHMI (EUROCOOL), T‑34/00, EU:T:2002:41, point 37), laquelle ne semble nullement être remise en cause par la seule référence à un personnage de fiction (Point 42 du jugement).

Ce faisant, rien ne s’oppose à ce que le logo de la célèbre chauve-souris puisse être déposée pour désigner des vêtements, des masques ou encore des chapeaux de carnaval dès lors que le consommateur d’attention moyenne l’associe à la société DC COMICS qui les commercialise.

Enfin, le Tribunal rappelle que la protection conférée par le droit d’auteur sur une œuvre de l’esprit ne fait pas échec à ce que celle-ci puisse également faire l’objet d’une protection par le droit des marques, remémorant ainsi les enseignements de sa jurisprudence (arrêt du 30 juin 2009, Danjaq/OHMI – Mission Productions (Dr. No), T‑435/05, EU:T:2009:226, point 26).

Dès lors, la marque contestée pouvait parfaitement bénéficier de la protection éponyme, fusse-t-elle déjà l’objet d’une protection accordée au titre du droit d’auteur à raison de son originalité.

Une manière de rappeler que l’originalité ne se confond pas avec la distinctivité.

Jonathan ELKAIM – Avocat au Barreau de Paris

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