Le Parisien – Mort d’un détenu à Fresnes : les prisons à l’épreuve de l’épidémie de coronavirus

Mort d’un détenu à Fresnes : les prisons à l’épreuve de l’épidémie de coronavirus

Après le décès le 16 mars d’un premier détenu écroué à Fresnes (Val-de-Marne), les questions se multiplient sur les décisions à prendre.

Il figure sur la liste des 264 morts du coronavirus en France. Mais, à 73 ans, Mohammed M. est surtout le premier détenu à avoir été testé positif au Covid-19 derrière les barreaux. Incarcéré à la prison de Fresnes (Val-de-Marne) depuis le 8 mars à peine, il a développé rapidement des symptômes de toux et de fièvre avant d’être hospitalisé le 13 au Kremlin-Bicêtre, où il est décédé lundi 16 mars au soir. Le septuagénaire, numéro d’écrou 1009486, souffrait de problèmes de diabète et aurait contracté la maladie avant d’être écroué.

Triste ironie : Mohammed M. devait être libéré le 5 mai. Accusé de violences sur sa compagne, il s’était vu notifier une convocation devant le tribunal correctionnel de Paris et avait été placé initialement sous contrôle judiciaire. Mais pour n’avoir pas respecté ses obligations de contrôle, il avait été convoqué devant le juge des libertés de la détention (JLD) et incarcéré pour deux mois.

Ce cas soulève l’épineuse question du traitement des détenus à l’heure de l’épidémie de coronavirus. Et il suscite des inquiétudes parmi les professionnels de la justice sur les risques sanitaires que pose la surpopulation carcérale. A Fresnes, Mohammed M. avait manifesté des symptômes plusieurs jours avant son hospitalisation et avait même vu son isolement médical levé. Plusieurs surveillants et détenus ont été confinés depuis, d’autant que d’autres dépistages – indépendants du détenu – se sont révélés positifs parmi le personnel pénitentiaire.

Depuis plusieurs jours, associations, magistrats et avocats appellent à limiter les placements en détention provisoire. Et les demandes de remises en liberté, pour les suspects comme les condamnés, affluent.

La prison, « une poudrière sanitaire » ?

Parmi les détenus célèbres libérés : Alexandre Djouhri, mis en examen dans l’affaire du financement libyen de la campagne de Nicolas Sarkozy, et dont les problèmes cardiaques faisaient de lui un sujet fragile. Pour éviter une jurisprudence « coronavirus », les juges n’évoquent pas les risques de contamination dans leur ordonnance. Tel fut le cas pour Aurélien (le prénom a été changé), 62 ans, incarcéré à Fresnes depuis 2019 pour violences aggravées et libéré le 17 mars officiellement pour « garanties de représentation ». Son avocat, Me Sahand Saber, a pourtant plaidé ses problèmes de santé : « Au regard de la situation à Fresnes, mes obligations de conscience et d’humanité m’ont imposé de demander la libération de mon client avant même d’avoir son accord. »

C’est ce type de décision que les associations de défense des droits des détenus et de magistrats encouragent depuis le début de la semaine. Adeline Hazan, contrôleure générale des lieux de privation de liberté, a saisi les ministres de la Justice et de l’Intérieur pour leur demander que des mesures immédiates et concrètes soient prises pour la protection des personnes privées de libertés. Afin d’éviter que les prisons deviennent une « poudrière sanitaire », s’alarme Sarah Massoud, secrétaire nationale du Syndicat de la magistrature. Mais comment limiter les entrées en prison sans créer de risques sécuritaires pour la population ?

« Même Michel Fourniret a le droit d’être protégé »

L’objectif est d’accélérer les sorties et de limiter les entrées. Dans ce contexte, Me Emmanuel Ludot, avocat de Robins des Lois, association de défense des droits des détenus, a déposé un nouveau recours le 18 mars auprès de la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH). Il demande que toutes les personnes actuellement en détention provisoire soient libérées dans les plus brefs délais. « Le droit constitutionnel à la santé surpasse toute autre considération, développe Me Ludot. C’est pourquoi nous demandons à la CEDH d’ordonner à l’Etat français de prendre toutes les mesures sanitaires pour limiter la contamination entre détenus, voire d’ordonner dans l’urgence et pour des mesures sanitaires, la libération de celles et ceux qui sont détenus à titre provisoire dans l’attente d’un procès. »

Et pour les cas les plus sensibles? « Même Michel Fourniret, jugé et condamné pour meurtres et assassinats, a le droit d’être protégé du coronavirus voire soigné si nécessaire, répond Me Ludot. Quant à Joël Le Scouarnec (NDLR : chirurgien pédophile dont le procès a été renvoyé à octobre prochain), en détention provisoire depuis bientôt trois ans, il doit être libéré sous contrôle judiciaire avec interdiction d’exercer sa profession. Dans ces conditions, il ne présente aucune dangerosité. »

« De toute façon, ils seront confinés comme le reste de la population », argumente la syndicaliste Sarah Massoud, qui rappelle que la France a été condamnée fin janvier par la CEDH pour sa surpopulation carcérale. Au 1er janvier 2020, sur plus de 82 000 personnes écrouées en France, seules 11 558 étaient placées sous surveillance électronique, un peu plus de 650 étaient placées à l’extérieur.

« Il faut couper le robinet »

Pour les professionnels de la justice, la question des audiences en comparution immédiate se pose. Malgré la fermeture des tribunaux judiciaires, certaines sont maintenues. « Ces audiences sont les plus pourvoyeuses en mandat de dépôt, il faut couper le robinet », appelle Sarah Massoud.

Il y a aussi la question des détenus condamnés à de petites peines et sur le point d’être libérés. Là, les magistrats travaillent encore dans l’urgence. « On accélère la mise en place de libérations conditionnelles en ciblant les détenus à qui il ne reste plus que quelques mois de détention, qui ne présentent pas de problèmes de comportement et ont une résidence à l’extérieur », décrit Cécile Dangles, présidente de l’Association nationale des juges de l’application des peines.

« On est délaissé »

Côté administration pénitentiaire, on assure que toutes les mesures sont prises dans les établissements pour endiguer l’épidémie. On rappelle ainsi la suspension des visites des familles au parloir, des activités socio-culturelles ou des entretiens avec les visiteurs de prison. « Mais les promenades, les cantines sont maintenues », nuance-t-on. Le ministère de la Justice devait également mercredi après-midi prendre des décisions concernant des « mesures de compensation » comme l’accès au téléphone des détenus.

Et en cas de suspicion « même vague » de coronavirus : « On ne prend pas de risque, on place en quarantaine, tout en autorisant les promenades, mais seul. Le détenu confiné n’est pas bloqué dans sa cellule nuit et jour. » Surtout, on tient les détenus informés de l’évolution de la situation, assure-t-on.

Mais c’est bien le problème, selon Marina A., 20 ans, détenue en semi-liberté à Fresnes. Tous les jours, la jeune détenue quitte le quartier femmes de la maison d’arrêt à 6h45 pour passer la journée avec sa famille installée à Port-Marly (Yvelines) avant de rentrer chaque soir à 19 heures. Mais, dit-elle, aucune consigne ne lui a été donnée concernant ses sorties. « Le Spip (Service pénitentiaire d’insertion et de probation) m’a envoyé l’attestation de circulation et c’est tout. Je sors chaque jour d’une zone à risque pour rejoindre mes proches que je pourrais contaminer. Les surveillants, qui pour certains sont à bout, portent seulement des gants. On ne nous dit rien », déplore la jeune détenue, condamnée à 2 ans ferme pour violences aggravées. « On est délaissé », regrette-t-elle.

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