L’absence d’établissement stable consacré par le juge pénal s’impose au juge fiscal

Dans un arrêt N° 395371 du 16 février 2018, le Conseil d’Etat rappelle solennellement le principe de l’autorité de la chose jugée appartenant aux décisions du juge « pénal » devenues définitives qui s’impose au « juge fiscal » pour ce qui concerne la constatation des faits.

Cet arrêt réaffirme avec rigueur le caractère d’ordre public de ce principe auquel il ne peut être dérogé même par la « Grand Dame » qu’est l’Administration Fiscale.

Dans cette affaire, le juge pénal ayant constaté matériellement l’absence d’établissement stable en France d’une société anglaise, il est rappelé que le juge fiscal doit constater la décharge des impositions.

D’où l’importance de conserver une stratégie de défense au pénal sur la matérialité des faits d’une fraude fiscale quand bien même les juges fiscaux de premier et de second degré persistent à l’imposition du contribuable. Cette position stratégique du dossier se relève toujours aussi pertinente même si le jugement pénal intervient postérieurement à la décision de la juridiction administrative frappée de pourvoi devant le Conseil d’Etat.

Revenons aux faits du litige :

Suivant une vérification de comptabilité de la société Azur Villas Limited, société de droit anglais exerçant une activité d’intermédiaire pour la location saisonnière de villas et d’appartements situés sur la Côte d’Azur et dont le contribuable est l’associé majoritaire et le gérant, cet dernier a fait l’objet, au titre des années 2005 à 2007, d’un examen contradictoire de sa situation fiscale personnelle. Il s’est vu notifier un rappel d’impôt sur le revenu et de prélèvements sociaux à son niveau au titre des revenus distribués correspondant aux bénéfices reconstitués de l’établissement stable de la société Azur Villas Limited.

La notion d’établissement stable en France de la société anglaise avait été caractérisée par le juge fiscal par les éléments suivants :

  • La société anglaise disposait en France de locaux permanents, au sein desquels elle déployait ” le matériel informatique nécessaire à cette activité et bénéficiait des moyens de communication utiles “.
  • Le contribuable disposait également ” des compétences pour négocier avec les propriétaires des biens, les clients et divers partenaires commerciaux ” et possédait ” des procurations sur les comptes bancaires de la société “. Les juges d’appel en déduisent qu’il ” assurait la gestion administrative, commerciale et financière pleine et entière ” de la société.

Pour imposer les bénéfices de l’établissement stable français de la société anglaise au niveau du contribuable, il est relevé que :

  • le contribuable avait la qualité de directeur de la société Azur Villas Limited dont il détenait la majorité des parts,
  • il disposait des procurations sur les comptes bancaires de la société,
  • Il assurait le suivi entier des relations commerciales avec les propriétaires des biens immobiliers proposés à la location et avec les clients locataires de ces biens, ainsi qu’avec les partenaires commerciaux de la société.

Ce faisant, l’administration fiscale considère que ces éléments établissent que le contribuable était le seul maître de l’affaire, permettant ainsi à l’administration de recouvrer à son encontre l’imposition correspondante aux sommes regardées comme distribuées par la société.

Parallèlement, le juge pénal avait quant à lui, pour la même affaire, relaxé le contribuable des chefs de soustraction frauduleuse à l’établissement et au paiement des impositions dues par la société anglaise (TVA et IS) au motif que ” les éléments du dossier sont insuffisants pour caractériser, une véritable exploitation en France d’une activité pour le compte de la société Azur Villas Ltd, au sens de la loi française ou l’installation d’un établissement stable au sens de la convention fiscale franco-anglaise “.

Les éléments décisionnels pour le juge pénal ont été que :

  • ” les actes décisionnels de la société Azur Villas Limited sont tous pris au Royaume-Uni lors d’assemblées générales réunissant les divers associés ” et que ” les principaux moyens de communication de la société Azur Villas Limited auprès de sa clientèle, à savoir téléphone, télécopie, e mail et site internet, sont tous localisés au Royaume-Uni “.
  • que la mission du contribuable était d’exercer une activité exclusivement préparatoire ou auxiliaire au seul profit de l’entreprise britannique et [qu’]il ne pouvait jamais conclure un contrat, au nom et pour le compte de la société mère, toute activité commerciale lui étant interdite ” pour en déduire qu’” il n’avait aucun pouvoir pour engager contractuellement en son seul nom la société Azur Villas Limited “.

Considérant la position du juge pénal, le conseil d’Etat a considéré que par cette décision l’administration ne pouvait plus maintenir les impositions mises à la charge du contribuable. Le Conseil d’Etat rappelle toutefois qu’il en aurait été différemment si le juge pénal avait relaxé le contribuable au motif que les faits reprochés n’étaient pas établis ou qu’un doute subsistait sur leur réalité.

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