Quand le juge bloque l’IA : première décision de blocage d’un site de presse automatisé.
Mercredi dernier (le 7 mai 2025), le tribunal judiciaire de Paris a ordonné le blocage de l’accès au site News.dayFR.com aux FAI (Orange, SFR, Free, Bouygues) sur tout le territoire national pour une durée de 18 mois.
Une quarantaine de groupes de presse français (notamment Libération, La Dépêche du Midi, La République du Centre, La Montagne, Le Télégramme etc.), réunis par l’Alliance de la Presse d’Information Générale (APIG), avaient saisi la justice début février 2025. Selon l’enquête menée par Libération et Next, créé en décembre 2021 News.DayFr.com, « parasite le monde de l’information » en publiant plus de 6 000 articles automatiquement dérobés chaque jour.
Ces articles sont repris, souvent après traduction automatisée, depuis les sites des médias, dans le but de générer du trafic et des revenus publicitaires. Faute de mentions légales valables (identité du directeur de publication, etc.), les responsables du site étaient inconnus, rendant impossible toute action contre eux.
Le tribunal souligne alors que « Le site litigieux permet aux internautes d’avoir accès à des œuvres protégées » sans autorisation donc et c’est ce pourquoi « l’atteinte aux droits d’auteur et aux droits voisins est constituée ».
Cette décision est inédite en France. C’est la première fois que des éditeurs de presse obtiennent judiciairement le blocage d’un « site d’information » généré par IA. Le tribunal a ainsi reconnu la réalité des « faux sites » en plein essor qui exploitent sans autorisation un contenu d’information réel.
Elle établit un précédent important en droit de la presse et notamment dans le cadre des droits voisins des éditeurs de presse qui avaient été transposé en droit français en 2019). En effet, le Code de la propriété intellectuelle impose l’autorisation préalable de l’éditeur pour toute reproduction numérique de ses contenus journalistiques (CPI, art. L. 218‑2).
Ce nouveau droit avait fait son apparition afin de lutter face aux agrégateurs d’informations, sites/moteurs de recherches qui vont proposer une sorte de synthèse de l’actualité par la reproduction de certains passages d’articles de presses, parfois avec des illustrations… Le problème étant que l’utilisateur reste captif du site de l’agrégateur qui affiche ses publicités et collecte des données mais l’utilisateur ne va pas sur le site de l’éditeur de presse qui lui a travaillé à la création du contenu.
Or, dans le cas de News.dayfr.com, l’usage de l’intelligence artificielle pour aspirer, reformuler et republier massivement des contenus protégés sans autorisation amplifie cette logique de captation de valeur. Il ne s’agit plus seulement d’agrégation, mais d’une véritable automatisation du pillage informationnel, où l’IA sert d’outil de contournement des droits voisins comme du droit d’auteur.
Si l’instauration de ce droit visait deux finalités : « soutenir la presse en ce qu’elle apporte une contribution fondamentale au débat public et au bon fonctionnement d’une société démocratique ainsi que protéger les investissements des éditeurs de presse. »[1], il est important de noter que le Tribunal Judiciaire de Paris s’inscrit dans la poursuite de ces objectifs.
D’une façon plus large, il convient de s’intéresser aux implications potentielles de ce précédant pour les droits d’auteurs et droits voisins en général, la cour caractérisant une « atteinte aux droits d’auteur et aux droits voisins ».
Jusqu’à présent, le seul moyen offert aux auteurs et aux titulaires de droits voisins pour se protéger de l’exploitation de leurs œuvres et interprétations était le mécanisme d’opt out, mécanisme d’opposition à l’extraction et à la réutilisation de ses œuvres ou de ses bases de données dans le cadre du TDM en exprimant clairement son refus, par tout moyen approprié.
Nous pourrions supposer qu’avec ce jugement, la jurisprudence ouvre la voie à des moyens d’action plus proactifs pour les titulaires de droits, au‑delà du simple mécanisme d’opt‑out.
En autorisant un tel blocage le tribunal judiciaire de Paris semble suggérer que les ayants droits pourraient désormais engager directement une action en contrefaçon fondée sur la reproduction et la mise à disposition illicites de leurs œuvres ou interprétations, sans se limiter à faire obstacle a posteriori à leur usage pour le TDM (Text and Data Mining) ; ou même revendiquer un droit d’« opt‑in », c’est‑à‑dire exiger une autorisation préalable explicite (plutôt qu’un simple refus possible) pour toute exploitation algorithmique de leurs contenus et obtenir judiciairement le blocage de sites ou services qui, via des algorithmes, publient ou reprennent massivement des œuvres ou interprétations protégées.
Cette décision établit un précédent important en reconnaissant que l’utilisation de l’IA pour reformuler des contenus journalistiques ne constitue pas une création originale mais bien une forme de pillage. Elle affirme que la transformation algorithmique de contenus protégés ne suffit pas à s’affranchir des droits des créateurs originaux.
In fine, cette décision va ouvrir la possibilité pour les auteurs ou artistes interprètes d’otbtenir judiciairement le blocage de sites ou services qui, via des algorithmes, publient ou reprennent massivement des œuvres protégées, une possibilité encourageante marquant une reconnaissance claire du préjudice subi par les créateurs face à l’essor des usages automatisés de leurs œuvres.
[1] X. Genovesi, Communication Commerce électronique n° 12, décembre 2020, entretien 11
Maître Jonathan Elkaim – Avocat
Alessandro Tummillo – Juriste
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