LOI ESSOC: quelles conséquences pour les contribuables dans leurs rapports avec l’administration fiscale
A grand renfort de médiatisation, le 10 août 2018 a été votée par le Parlement, la Loi ESSOC, communément appelée loi sur « Le droit à l’erreur ».
Novatrice de prime abord, puisqu’elle permet selon le Gouvernement de ne pas pénaliser le citoyen qui commet pour la première fois une erreur dans le cadre de ses relations avec les Administrations, nous nous sommes intéressés, plus particulièrement, à ses réels impacts en matière fiscale, et donc, de la relation entre contribuables et les services fiscaux.
Si tout le monde a en tête que le droit à l’erreur, en matière fiscale, permet au contribuable, de bonne foi, d’obtenir une réduction des intérêts de retard dans le cadre d’une démarche spontanée de sa part, nous nous intéresserons ci-dessous sur deux autres garanties importantes qu’apportent cette loi.
La première c’est que désormais lorsque l’administration fiscale a terminé son contrôle elle est contrainte d’indiquer explicitement au contribuable sur la proposition de rectification ou sur l’avis d’absence de rectification les points de contrôle, y compris lorsqu’ils ne comportent ni insuffisance, inexactitude, ni omission ou dissimulation.
C’est une règle de transparence sur la nature et l’ampleur des contrôles effectués par l’administration qui n’existait pas auparavant et portant voulue depuis plus de 10 ans. C’est un progrès sans précédent.
Pour illustrer ce point crucial considérons l’exemple d’une société faisant l’objet d’une vérification de comptabilité en 2019 au titre de ses exercices 2016,2017 et 2018.
Au cours des opérations de contrôle, le vérificateur admet le principe de la déductibilité d’un certain nombre de charges et accepte l’argumentaire du contribuable sur cette déductibilité, par exemple, les frais engagés en matière de sponsoring sans que l’impact économique de cette dépense soit particulièrement visible sur le chiffre d’affaires de l’entreprise.
Désormais, la proposition de rectification devra, explicitement et formellement poser le principe de la déductibilité de cette charge.
Ainsi, et en cas de contrôle ultérieur, par exemple en 2022, pour les exercices 2019, 2020 et 2021, la société pourra invoquer la décision relative au contrôle précédent face au vérificateur si la même charge a été comptabilisée dans les mêmes conditions.
L’effet immédiat de cette réforme est donc en principe de renforcer la sécurité juridique des contribuables en forçant l’administration à prendre ses responsabilités.
Cependant, la subtilité de la Loi ESSOC dans ce domaine est l’entrée en vigueur de ce principe, non pas lors du vote de la loi, le 10 août 2018, mais à compter des contrôles intervenant postérieurement à l’envoi d’un avis de vérification daté après le 1er janvier 2019.
C’est pourquoi, nous avons pu constater que l’Administration avait, curieusement, adressé de nombreux avis de vérification en fin d’année 2018, se dédouanant ainsi de cette obligation, et par conséquent, privant les contribuables de cette nouvelle disposition.
Mais au-delà de ce principe, il est certain que malgré cette obligation de l’Administration, de nombreuses divergences apparaîtront, soit en matière de points particuliers ayant fait l’objet du contrôle, soit, pour des contrôles futurs, quant à la nature, le contexte, ou les différences d’interprétation entre le constat effectué dans le contrôle précédent, et les faits, objet du contrôle suivant.
Nul doute que de nombreux contentieux apparaîtront.
C’est pourquoi, selon nous, il apparaît de plus en plus impératif de procéder à des comptes rendus écrits des opérations de contrôle pour permettre le cas échéant devant un juge de justifier des échanges intervenus en cours de contrôle et des sujets abordés qui n’auront pas fait l’objet d’un rehaussement.
Il reste des questions d’application pratique de cette nouvelle garantie sur les conséquences que ne manquera pas d’avoir cette obligation de documentation s’agissant des contrôles effectués sur le fichier des écritures comptables et notamment de l’obligation qui devrait en découler de lister les points ayant fait l’objet d’une vérification automatique par les logiciels de contrôle de l’administration.
La deuxième garantie est celle qui est introduite dans la loi sous le vocable de « Rescrit contrôle ».
Désormais, lorsque la société fait l’objet d’un contrôle, elle peut demander, par tout moyen permettant d’apporter la preuve de la réception de votre demande par l’administration, une extension du contrôle, sur des points que le contribuable aura précisés dans sa demande.
Le service fiscal doit prendre une position formelle sur chacun des points sollicités.
Sur chacun de ces points, l’administration doit confirmer la conformité ou constater une non-conformité qui conduit à un rehaussement de droits. Ces conclusions seront opposables à l’administration lors de contrôles à venir.
Notons toutefois que cette garantie est valide jusqu’à une nouvelle prise de position ou à un changement de réglementation.
Mais attention, il s’agit d’une arme à double tranchant qu’il faudra utiliser à bon escient avec l’attache d’un avocat fiscaliste.
En effet, cela permet dans certains cas d’orienter le contrôle et de lister ce qui est conforme aux règles fiscales et qui ont été respectées par l’entreprise.
Cela pourrait permettre notamment de développer des arguments plus forts en matière de contestation des pénalités pour manquements délibérés sur les points rehaussés en argumentant d’une bonne moralité d’ensemble fiscale de l’entreprise.
Autre exemple, cela peut forcer l’administration à accepter dans le cadre du contrôle de compenser des rehaussements avec des dégrèvements identifiés ensemble lors du contrôle et donc de diminuer les droits, pénalités et intérêts.
Cela peut être un vrai instrument de pilotage du contrôle et de ses suites notamment en cas de volet pénal.
Ces deux garanties nouvelles, apportées par la Loi ESSOC, et tels que nous venons de les préciser, vont entraîner, à notre sens, une autre conséquence.
L’obligation faite pour l’Administration de formaliser, dans le cadre de ses opérations de contrôle, les points non rehaussés, risque de compliquer, pour l’Administration, ses arguments d’application de pénalités pour manquements délibérés, tel que c’était jusqu’alors le cas.
En effet, jusqu’à maintenant, nous pouvions constater que dans la plupart des propositions de rectifications reçues par nos clients, la motivation pour appliquer les pénalités pour manquement délibéré reposait sur le montant des droits éludés en valeur absolue, et sur le fait que cette « faute » était constatée à plusieurs reprises au cours des exercices vérifiés, ce qui, sur le plan comptable, repose sur un principe bien connu des normes comptables, la permanence des méthodes.
Désormais, et dès lors que le rehaussement proposé portera sur un point en particulier, par exemple sur une insuffisance de TVA reversée, mais que tous les autres points, objets du contrôle sont formellement et explicitement validés, nous estimons que les motivations de l’Administration pour appliquer les pénalités pour manquement délibéré devront, obligatoirement, être beaucoup mieux motivés.
Et il est nécessaire de rappeler, que désormais, depuis le vote de la loi Fraude du 23 octobre 2018, l’application de pénalités pour manquement délibéré, ne doit plus uniquement être considérée comme un impact financier, mais comme un risque fort de suites pénales, en cas de réitérations.
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