Licra.org – Interview: Me Juliette Chapelle et Me Sahand Saber, avocats de la LICRA au procès Merah

Comment recevez-vous le verdict qui a été prononcé hier par la Cour d’Assises spéciale de Paris appelée à juger Abdelkader Merah et Fetah Malki ?

Juliette CHAPELLE : La cour a rendu une décision de justice. Les juges de la Cour d’assises spécialement composée de Paris ont motivé leur décision au long de 14 pages de motivation concrète et juridique après une dizaine d’heures de délibération. Elle a simplement jugé qu’il n’y avait pas de preuves suffisantes pour condamner Abdelkader Merah de faits de complicité d’assassinats mais a condamné Abdelkader Merah et Fettah Malki pour des faits d’association de malfaiteurs en lien avec une entreprise terroriste. Ce qui est peut-être regrettable c’est qu’il a plus été retenu qu’Abdelkader Merah a été acquitté que condamné.

Or, et il paraît important de le rappeler ici, Abdelkader Merah et Fettah Malki ont été respectivement condamnés à 20 ans et 14 ans assorties d’une mesure de sûreté des 2/3. Ce sont de lourdes peines et le maximum légal pour Abdelkader Merah. Il me semble que c’est ce message qu’il faut faire passer.

Je comprends l’insatisfaction des victimes par rapport à cette décision qui peut leur paraître mitigé et de savoir que la justice a considéré qu’Abdelkader Merah n’est pas complice des assassinats de son frère. Cependant, cette décision n’est pas laxiste. Elle est fondée juridiquement et condamne lourdement Abdelkader Merah pour les faits qu’il a commis. Il est préférable d’avoir une décision fondée juridiquement plutôt qu’une décision fondée sur l’émotion et critiquable juridiquement.

Je prends un exemple qui me semble parlant : en réaction au terrorisme, les Etats-Unis ont créé la prison de Guantanamo. Nous savons tous ce que cela a été. Une torture légalisée où les Etats-Unis ont piétiné leurs principes, leurs valeurs, leur démocratie au nom de la lutte contre un terrorisme sinueux. Le peuple français, car c’est une décision rendue au nom du peuple français, a décidé de juger ces terroristes comme des Hommes issus de notre communauté sans déroger à notre droit et notre Etat de droit.

Nous pouvons être fiers que notre droit ne plie pas devant le terrorisme. Nous pouvons être fiers que le peuple français sache juger le terrorisme sans se fourvoyer.

Sahand SABER : Ce procès s’est tenu sur 5 semaines, ce qui est une durée exceptionnellement longue pour juger deux personnes accusées. Il a permis d’aborder les faits et les personnalités des accusés, mais également des membres de leur entourage connu pour leur adhésion aux thèses djihadistes. Aucun aspect de l’affaire n’a été négligé et les parties ont toute pu s’exprimer librement. Les débats ont donc permis de faire ressortir l’ensemble des problématiques factuelles et juridiques posées par les tueries de Toulouse et Montauban.

Nous pensons, et nous ne sommes pas les seuls, qu’Abdelkader Merah est responsable de la radicalisation de son frère Mohamed, à la fois dans le développement de l’idéologie salafiste et dans la mise en œuvre de ce salafisme. Les assassinats des militaires et des enfants juifs et leur professeur ont été le point culminant dans la concrétisation de cette idéologie. Mais le droit français n’est pas armé contre ce type de processus de radicalisation.

Le terrorisme islamiste bénéficie d’une faille de notre droit : on peut encourager un homme à se radicaliser et assassiner des personnes qui répondent à une distinction particulière, sans craindre d’être reconnu complice dès lors que l’on ne lui a pas apporté une aide ou un assistance matérielle.

La Cour d’assises spéciale a rigoureusement motivé son verdict. On peut donc considérer que cette décision est conforme au droit applicable à la lumière des éléments du dossier. Mais ce retard du droit sur la nature du terrorisme islamiste peut nous inquiéter au regard de la période que nous vivons.

Ce procès a-t-il suffisamment permis d’entendre la parole des victimes ?

Juliette CHAPELLE : A mon sens, ce procès a permis aux victimes d’être entendues tant par la voix de leurs avocats qu’elles-mêmes lors de leurs déclarations à la barre. Chacune a pu, si elle le désirait s’exprimer et c’est une bonne chose car il n’y a qu’elles qui peuvent faire le récit de ce qu’elles ont vu et vécu.

De manière générale, ce procès a été équitable. Certains ont critiqué notre confrère Eric Dupond-Moretti de défendre dans son principe Abdelkader Merah et de le défendre pleinement avec toute sa conviction et sa compétence. Ils ont tort. Un procès avec une défense muette est stérile et serait une grave atteinte à notre démocratie. Abdelkader Merah a bénéficié d’une des meilleures défenses possibles et ne peut venir critiquer le déroulement de la justice française.

Ce procès a cependant soulevé la sempiternel question de la place de la partie civile au sein du procès pénal et ce d’autant plus dans le cadre d’une affaire de terrorisme devant une cour d’assises. Un procès d’assises est toujours violent et les victimes ont souvent l’impression de ne pas avoir été assez entendues. En réalité, nous le savons et les victimes le savent les premières, aucun procès ne permet de faire son deuil et aucune décision de justice ne permettra de prendre l’ampleur de leur souffrance, de leur peine et de leurs pertes.

Sahand SABER : Toutes les parties ont librement pu s’exprimer et aucune n’a été interrompue. Il en a été ainsi également pour les avocats qui les assistaient, malgré les invectives parfois échangées. La souffrance des victimes a bien été entendue, mais elle n’a peut-être pas toujours été respectée par la défense.

A l’ouverture de l’audience criminelle, le Président a tenu à faire une déclaration, rappelant que les faits que la Cour devait juger étaient « terribles ». Mais il a tenu à garder chaque partie à équidistance pour éviter toute contestation, mais aussi pour rappeler que le rôle de la justice n’était pas de satisfaire des demandes mais de répondre à des questions et dire, le cas échéant, leurs conséquences juridiques.

Autant dire que la justice française a été mise à l’épreuve par ce procès.

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