L’action en forclusion par tolérance : le douloureux chemin de croix du demandeur soumis au régime de la preuve diabolique – ENTREPRISE ET AFFAIRES 25 AVRIL 2024 N°17 – LA SEMAINE JURIDIQUE, LEXIS NEXIS

Dire que prouver une forclusion par tolérance est un véritable parcours du combattant relève de l’euphémisme. Les praticiens ayant eu à diligenter une telle procédure le savent : tous les éléments jouent contre eux, dès lors qu’il leur appartient de démontrer l’impossible.

Pourtant, et sur le papier, l’action en forclusion par tolérance présente toutes les garanties d’un contre-pouvoir utile contre un usage parfois abusif d’un droit privatif comme celui d’un droit de marque.

1. Prévue aux dispositions de l’article L. 716-4-5 du Code de la propriété intellectuelle, la forclusion par tolérance offre, en effet, la possibilité à tout déposant d’une marque postérieure de soulever l’irrecevabilité d’une action en contrefaçon fondée par le titulaire d’une marque antérieure, pourvu que ce dernier en ait toléré l’usage en « connaissance » et « pour les produits ou les services pour lesquels l’usage a été toléré ». Elle permet ainsi de priver le titulaire d’une marque, quelque peu négligent, d’occuper un espace qu’il a trop longtemps déserté, et de faire respecter le principe de la libre concurrence et du libre établissement.

2. Mais un tel idéal reste bien évidemment théorique tant le prix à payer pour le demandeur à une telle action semble lourd en pratique. Celui-ci aura en effet fort à faire pour démontrer la connaissance effective de la marque postérieure par le titulaire de la marque antérieure, dès lors que la rigueur probatoire appliquée par les juridictions les incite à écarter certains indices pourtant à même de justifier d’une telle connaissance.

3. À lire certaines décisions, l’on déplore que le demandeur à une telle action soit presque dans l’obligation de fournir une preuve irréfragable de cette connaissance. Or, c’est précisément le faisceau d’indices, composé de factures, courriels ou encore brochures publicitaires (sans prétendre à l’exhaustivité) qui permet, à bien des égards, de démontrer que le titulaire d’un droit antérieur ne pouvait réellement ignorer l’existence d’une marque seconde identique. Pour autant, le défendeur à une telle action est rarement pris au dépourvu puisqu’il est avant tout l’instigateur d’une action principale en contrefaçon. Et tout l’enjeu est là.

4. Avant d’assigner le prétendu contrefacteur, le titulaire de la marque antérieure aura pris soin de retirer toute preuve éventuelle de cette connaissance, ou à tout le moins de laisser le demandeur à l’action en forclusion débattre de cette connaissance avec les quelques éléments dont il disposera. Et ainsi, presque en spectateur silencieux, le titulaire de la marque antérieure n’aura qu’à compter sur l’office du juge pour l’aider à battre en brèche le moindre élément pouvant démontrer une telle connaissance, dès lors que faute d’aveu exprès ou de constat d’huissier établis sur 5 ans démontrant cette connaissance, celle-ci sera difficilement prouvée en pratique.

5. Que les lecteurs pardonnent un tel cynisme, qui n’est que le reflet d’une pensée, mais aussi et peut-être, celui d’une lacune de notre système juridique, lequel prévoit un mécanisme

permettant de sanctionner un titulaire de marque négligent, sans pourtant réellement l’appliquer au bénéfice de celui qui l’invoque. Bien sûr, une telle action ne doit pas être le paravent idéal à toute action en contrefaçon, et il appartient également aux juges de veiller et sauvegarder le droit de propriété acquis légitimement par un titulaire de droit. Mais ce respect accordé ne doit pas s’articuler autour d’une politique de maintien constant des droits acquis au détriment d’un titulaire tout aussi légitime que le premier.


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