De «balance ton porc» à «balance ton fraudeur» : bientôt un nouvel hashtag?

Suivant une interview accordée au journal LE FIGARO le 31 janvier 2018, le Ministre de l’Action et des Comptes Publics a indiqué le souhait du Gouvernement et de la majorité LREM à l’Assemblée Nationale de mettre prochainement en place (d’ici à l’été 2018) une pratique provenant du monde anglo-saxon : le « name and shame ».

La philosophie de cette mesure serait de publier le nom ou la raison sociale du ou des contribuables qui se rendent coupables de fraude fiscale aggravée.

En effet, selon le Premier Ministre Edouard PHILIPPE : « Il faut que le peuple français sache qui cherche à s’exonérer des obligations fiscales légitimes qui sont à la charge de chacun ».

Cette mesure est présentée comme nouvelle et comme une contrepartie du droit à l’erreur que souhaite également mettre en place le Gouvernement suivant l’examen du projet de loi “pour un État au service d’une société de confiance“[1].

Elle érige en vertu une véritable dénonciation organisée par l’Etat, et en particulier par les services de l’administration fiscale.

Soyons clairs, précis et démentons ce qui est inexactement diffusé médiatiquement : Cette notion de publication n’est pas nouvelle!

Elle est inscrite depuis 1979 au quatrième alinéa de l’article 1741 du Code Général des impôts définissant le délit de fraude fiscale.

Version en vigueur en 1979 : « Le tribunal ordonnera dans tous les cas la publication intégrale ou par extraits des jugements dans le Journal officiel de la République française ainsi que dans les journaux désignés par lui et leur affichage intégral ou par extraits pendant trois mois sur les panneaux réservés à l’affichage des publications officielles de la commune où les contribuables ont leur domicile ainsi que sur la porte extérieure de l’immeuble du ou des établissements professionnels de ces contribuables (…) ».

Dans sa version initiale, la loi prévoyait le caractère obligatoire de cette peine. Elle imposait au juge de prononcer la peine de publication et d’affichage du jugement de la condamnation pour des faits de fraude fiscale.

Il y a 7 ans, le Conseil constitutionnel avait été saisi le 28 septembre 2010 par la Cour de cassation (Décision n° 2010-72/75/82 QPC du 10 décembre 2010 – M. Alain D. et autres), d’une question prioritaire de constitutionnalité relative à la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit ce quatrième alinéa de l’article 1741 du code général des impôts.

Le conseil des Sages a jugé le quatrième alinéa de l’article 1741 du CGI contraire à la Constitution, le juge ne pouvait faire varier ni la durée de cet affichage ni ses modalités, cette obligation portait atteinte au principe d’individualisation des peines.

Dans sa version modifiée par la loi n°2010-1658 du 29 décembre 2010 (art. 63), cette peine a été adaptée et laissée à la libre appréciation des magistrats de l’ordre judiciaire : « La juridiction peut, en outre, ordonner l’affichage de la décision prononcée et la diffusion de celle-ci dans les conditions prévues aux articles 131-35 ou 131-39 du code pénal ».

En qualité de professionnels du droit, l’annonce médiatique du gouvernement nous semble donc superfétatoire en l’état actuel du droit et, également eu égard à la diffusion médiatique grandissante des cas de fraude fiscale démocratisés depuis l’affaire CAHUZAC.

Si l’ambition du gouvernement est d’instaurer une liste administrative émanant de Bercy, elle heurtera indéniablement le secret fiscal, principe d’ordre public, auquel sont tenus les agents de l’administration fiscale, conformément aux dispositions de l’article L103 du livre des procédures fiscales.

Il conviendra de suivre de très précisément le projet de texte de loi en la matière…

A bons entendeurs…

[1] http://www.gouvernement.fr/argumentaire/transformation-de-l-action-publique-un-projet-de-loi-pour-un-etat-au-service-d-une

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