Le recours à la procédure d’appel d’offres précarise la relation commerciale
Le
16 mai 2024, une nouvelle décision de justice a été rendue dans le différend
opposant la société Star’s Service et la société Carrefour Hypermarchés. Cette
décision de la Cour d’appel de Paris a également été source de nouveauté jurisprudentielle,
les juges du fond ayant précisé le régime des relations commerciales établies
caractérisées au-delà de la durée d’ancienneté de la relation (CA Paris,
Pôle 5 ch. 5, 16 mai 2024, n° 23/03312)
En
l’espèce, la société Star’s Service est entrée en relation contractuelle avec
la société Ooshop en 1999 et en 2007 avec la société Carrefour Hypermarché afin
de réaliser des livraisons à domicile pour les commandes effectuées sur
internet ou en magasin. Les sociétés ont renouvelé plusieurs fois leur relation
contractuelle, jusqu’à l’annonce par la société Carrefour Hypermarchés de son intention
de ne pas renouveler le contrat, préférant recourir à des procédures d’appels
d’offres pour la réalisation des livraisons à domicile. En 2015, Star’s Service
a été retenue pour certaines zones de livraison effectuée sur internet, et non pour
les livraisons réalisées depuis les magasins Carrefour, mettant alors fin à ces
dernières relations contractuelles.
Le
litige a alors donné suite à une longue procédure contentieuse au cours de
laquelle plusieurs juridictions se sont prononcées sur le différend opposant
les deux sociétés.
Le
tribunal de commerce de Paris a rendu sa décision le 12 décembre 2017 et a débouté
la société Star’s Service de sa demande d’indemnité au titre d’une rupture
brutale de relations commerciales. Cette dernière a interjeté appel devant la
Cour d’appel de Paris qui, par un arrêt du 25 juin 2020 a apprécié l’existence
d’une relation commerciale établie dont la rupture brutale avait causé des
préjudices à la société Star’s Service. En 2022, la Cour de cassation a cassé
et annulé une partie de l’arrêt de 2020 en ce qu’il a déclaré que la relation
commerciale entre les deux sociétés était établie et en ce qu’il a caractérisé
l’existence d’un préjudice pour la société Star’s Service suivant la rupture
brutale de la relation.
En
2023, la Cour d’appel de Paris a alors été saisie par la société Star’s Service
afin d’obtenir réparation du préjudice subi. Parallèlement, la société
Carrefour Hypermarchés a formé appel incident afin de contester l’existence
d’une relation commerciale établie.
La
Cour d’appel de Paris s’est donc prononcée le 16 mai 2024 sur l’ensemble de ces
prétentions et plus particulièrement sur la caractérisation et la rupture
brutale des relations commerciales établies.
A
travers cet arrêt, la Cour d’appel se prononce sur l’interprétation de l’article
L.442-6, I, 5° du code de commerce régissant la responsabilité des parties
commerçantes en cas de rupture brutale de leur relation.
Selon
la Cour d’appel, afin de caractériser une relation commerciale établie, il est
nécessaire que « la relation entre les parties ait revêtu un caractère
suivi, stable et habituel, et que la partie qui se prétend victime de son
interruption brutale ait pu légitimement s’attendre pour l’avenir à une
continuité du flux d’affaire avec son partenaire commercial. »
La
Cour a ainsi jugé que la procédure de mise en concurrence développée par la
société Carrefour Hypermarchés et l’absence de reconduction tacite des
contrats, suffisent à établir la précarité des relations commerciales, malgré
l’ancienneté des relations. Par ailleurs, la croyance légitime de la poursuite
des relations commerciales n’est pas caractérisée par la réussite d’une partie
de la procédure d’appel d’offres. Et ce, indépendamment du caractère
systématique de ce mode de sélection. Enfin, la participation de la société
Star’s Service aux appels d’offres et son absence de refus face à cette
nouvelle procédure illustrent, selon les juges du fonds, que cette dernière
avait été informée de l’évolution de ces relations. La rupture brutale d’une
relation commerciale n’étant par conséquent, non caractérisée.
Ainsi,
la procédure d’appel d’offres est alors considérée en jurisprudence comme une
procédure instaurant une précarité dans la relation commerciale. Dès lors,
cette dernière ne peut être établie malgré l’ancienneté de leur relation
d’affaires. Par ailleurs, le simple fait d’avoir été sélectionné pour une
partie de la procédure d’appel d’offres ne suffit pas à caractériser la
croyance légitime de continuité du flux d’affaires entre les parties. Et ce, indépendamment
du caractère systématique de ce mode de sélection.
Par
conséquent, la jurisprudence limite l’engagement de la responsabilité pour
rupture brutale de la relation commerciale, cette dernière ne pouvant être établie
par son ancienneté.
Jonathan
Elkaim – Avocat
Victoire
Dériot – Juriste
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