Affaire LOVO partie 2 : La voix protégée mais hors du droit de la propriété intellectuelle

Jeudi dernier, une nouvelle étape a été franchie dans l’affaire Lovo, déjà présentée en bref dans nos publications (L’affaire LOVO : L’IA vocale face au droit d’auteur). 

Pour rappel, deux comédiens (Paul Lehrman et Linnea Sage) ont assigné la start-up américaine LOVO pour avoir utilisé leurs enregistrements vocaux sans autorisation et cloné leurs voix à des fins commerciales.

 Les faits contenus dans laplainte faisaient état d’une exploitation des enregistrements vocaux initialement pour un « projet de recherche » ou des « scripts tests » de voix et qui étaient finalement cédés sous les pseudonymes « Kyle Snow » (Lehrman) et « Sally Coleman » (Sage) à l’insu des artistes concernés.

Le 10 juillet 2025, le juge fédéral J. Paul Oetken a rendu une décision partielle sur la notion de « motion to dismiss » de Lovo (voir analyse précédente), particulièrement instructive et revelant la complexité des enjeux juridiques soulevés par les systèmes d’IA dans le cadre. 

Points clés de la décision : 

Concrètement, le tribunal américain a rendu une décision aux conséquences contrastées sur le sort des nombreux chefs d’accusations que contenait la plainte amendée. 

Si ladite décision accueille la poursuite du recours des plaignants sur les fondements de la concurrence déloyale, ainsi que sur la protection des consommateurs le juge américain rejette leurs recours fondés sur la section 43(a)(1)(B) de la loi Lanham, relative à la publicité mensongère ainsi que sur divers délits de Common law tels que la fraude ou l’enrichissement sans cause… 

Toutefois, l’essentiel de cette décision réside dans la reconnaissance, par le juge américain, du droit des demandeurs à protéger l’exploitation commerciale de leur voix en vertu du droit new-yorkais, tout en refusant d’étendre cette protection au titre du droit d’auteur ou droit des marques.

Sur la question des voix non protégeables en tant que marques : 

Le Tribunal estime que les voix des acteurs, bien que reconnaissables, ne remplissent pas la fonction principale d’une marque, qui est d’identifier la source d’un produit ou service. Contrairement aux cas impliquant des célébrités, les voix des acteurs s’assimilent davantage à des services plutôt qu’à des identifiants de source. 

Ce faisant, la voix des comédiens ne permet pas de déterminer l’origine d’un produit. 

Cette position rejoint effectivement la jurisprudence communautaire des juridictions européennes qui ont constamment « la fonction essentielle de la marque, consistant à garantir aux consommateurs l’identité d’origine du produit »[1] ou du service désigné, en lui permettant de distinguer sans confusion possible ce produit ou ce service de ceux qui ont une autre provenance. 

Le Tribunal de l’Union européenne (TUE) a précisé dans ses décisions récentes que les critères d’appréciation du caractère distinctif des marques sonores ne diffèrent pas de ceux applicables aux autres catégories de marques. Un signe sonore, incluant une voix, doit posséder une certaine prégnance permettant au consommateur visé de le percevoir en tant que marque et non pas comme un élément de nature fonctionnelle ou un indicateur sans caractéristique intrinsèque propre.[2]

Sur la question des voix non protégeables au titre du droit d’auteur : 

Le juge rejette les arguments soutenant la violation du droit d’auteur par les outputs de l’IA Genny (clones vocaux), dès lors qu’elles ne reproduiraient pas les enregistrements originaux de manière identique.

Ainsi, et à lire la motivation du Tribunal, ces clonages viseraient seulement à imiter des attributs vocaux.

Au-delà, le Copyright ne protège pas la voix stricto sensu, mais l’interprétation résultant d’un enregistrement.

Or, les outputs du système d’IA (voix synthétiques imitatives) ne pourraient constituer une contrefaçon des voix des comédiens dès lors qu’elles constituent des « fixations indépendantes », imitant le timbre, le rythme, la diction des comédiens. 

Le Tribunal clarifie ainsi la nature de la protection accordée par le Copyright dans le cadre du clonage de voix.

L’appui du droit à l’image :

Si le droit des marques ou le copyright ne seraient a priori d’aucun secours, le Tribunal rappelle que le régime juridique attaché aux droits personnels permettrait de faire échec à un usage non autorisé d’une voix. 

Le juge Oetken a en effet maintenu les revendications fondées sur les sections 50 et 51 du Civil Rights Law de New York, protégeant les attributs de la personnalité tels que la voix, le nom ou encore la voix contre une utilisation commerciale non autorisée. 

A cet effet, la voix est explicitement visée par les articles 50 et 51 du New York Civil Rights Law, de sorte que les plaignants peuvent prétendre à une appropriation commerciale non autorisée de leur voix. 

Le juge note que « la loi a spécifiquement choisi “la voix” comme niveau pertinent de généralité, et les plaignants ont allégué de manière plausible que Lovo a copié leurs voix en totalité, plutôt que de ne reprendre que certains attributs», rendant impossible pour Lovo d’échapper à sa responsabilité sous prétexte d’avoir apposé des pseudonymes sur les voix volées.

Finalement, si le droit d’auteur ou le droit des marques ne semble pas adéquat pour protéger la voix des artistes, ces derniers peuvent s’appuyer sur les droits de la personnalités, garants de l’intégrité de leur identité. 

Et en France ? 

Naturellement, il convient d’évaluer la portée de cette décision sur l’ordre juridique interne et européen. 

Un juge français aurait-il rendu une décision similaire ? 

Les dispositions du Civil Right Law de New York font naturellement écho au célèbre article 9 du Code civil reconnaissant la voix comme un attribut de la personnalité et protégée au titre du respect à la vie privée. 

Par cet article, toute utilisation de la voix d’autrui conduisant à son identification est soumise à l’autorisation expresse de la personne concernée. 

En effet, ce « droit à la voix » semble demeurer le moyen de protection le plus efficace pour ces comédiens, la voix n’étant pas protégeable en tant que telle par le droit d’auteur français au même titre que par le copyright américain. 

Une œuvre pour être protégée nécessite la double condition de fixation et d’originalité que ne remplit pas la voix « stricto sensu». 

Une interprétation peut toutefois être protégée au titre des droits voisins du droit d’auteur.

Le constat est le même s’agissant du droit des marques. 

En droit français, une marque a pour fonction essentielle de garantir l’origine des produits ou services (article L.711-1 du Code de la propriété intellectuelle). Autrement dit, elle doit permettre au consommateur de distinguer les produits ou services d’une entreprise de ceux de ses concurrents.

Comme l’a précisé le juge américain, la voix d’un comédien constitue le produit lui-même de sorte que l’exigence de distinctivité ne peut être respectée.

Surtout une marque doit être susceptible de représentation graphique (Article L711-1) or, la marque vocale ne répond pas à ce critère .

Un comédien ne saurait donc déposer sa voix en tant que marque, ni la considérer comme un signe distinctif.  

Un autre levier, et non des moindres, reste le RGPD.
En droit européen, la voix, en tant que donnée biométrique permettant d’identifier une personne de manière unique, relève de la catégorie des données personnelles au sens du Règlement général sur la protection des données (RGPD).


À ce titre, tout traitement de la voix (en tant que donnée biométrique) qu’il s’agisse de collecte, de stockage, d’analyse ou de reproduction par clonage est prohibé sauf à satisfaire à l’exigence de finalité licite du traitement (article 9 § 2 du RGPD)

Dans l’affaire LOVO, si une telle exploitation avait lieu en France ou en Europe, les comédiens pourraient donc invoquer la violation du RGPD pour traitement illicite de leurs données biométriques.


Contrairement au droit d’auteur ou au droit des marques, le RGPD offre une protection objective : peu importe qu’il s’agisse ou non d’une « œuvre » ou d’un signe distinctif, dès lors que la voix permet d’identifier une personne, le traitement non consenti est sanctionnable.

En définitive, nous pourrions présumer que l’apparition d’un tel cas en France mettrait en évidence la primauté des droits de la personnalité et l’exigence, pour les systèmes d’intelligence artificielle générative, d’articuler leur développement avec le respect des attributs inhérents à la personne.

En ce sens, il convient de noter que l’obligation pour les fournisseurs de modèles d’IA générative de réaliser des modèles de résumés suffisamment détaillé des données d’entraînement (article 53,1,d du RIA) ou celle d’établir une politique générale de respect des droits (article 53,1,c du RIA) participent justement à encadrer l’utilisation de contenus sensibles comme les voix humaines, afin de prévenir toute appropriation abusive et de mieux concilier innovation et protection des droits de la personnalité. 

Par ailleurs, conformément aux préconisations du CSPLA, telles qu’exposées dans le Rapport de mission relatif à la mise en œuvre du RIA présenté en décembre dernier, l’exigence de transparence s’étend au-delà des contenus protégés par le droit d’auteur et le droit voisin, en englobant également les données personnelles visées par le RGPD. 

Cette extension implique que les bases de données mobilisées pour l’apprentissage des systèmes d’IA respectent les principes d’un traitement loyal et transparent, notamment lors du développement de modèles génératifs reproduisant la voix ou l’image d’artistes.


[1] CJCE, 22 juin 1976, C-119/75, Terrapin

[2] Trib. UE, 13 septembre 2016, aff. T-408/15

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Maître Jonathan Elkaim – Avocat

Alessandro Tummillo – Juriste

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