L’affaire LOVO: L’IA vocale face au droit d’auteur
Rappel des faits :
En avril 2024, la start-up LOVO, spécialisée dans l’IA vocale, a été assignée devant le tribunal fédéral de Manhattan par deux comédiens pour avoir cloné leurs voix sans autorisation. Ces derniers avaient fourni (contre une faible rémunération) des enregistrements via Fiverr (une place de marché en ligne pour les travailleurs indépendants), estimant qu’ils serviraient uniquement à des fins de recherche interne
A la suite d’une plainte modifiée par les demandeurs à l’instance, la société LOVO a déposé une requête en irrecevabilité de l’ensemble des griefs. Le 10 janvier 2025, les Comédiens ont déposé leur réponse en opposition.
La requête en irrecevabilité de la société LOVO :
Seize chefs d’accusation et notamment celui de l’utilisation abusive de la voix selon le droit de l’État de New York, pratiques trompeuses, publicité mensongère, concurrence déloyale… à la violation du droit d’auteur.
Afin de contester le bien-fondé de la plainte nouvellement modifiée, la société LOVO souligne le caractère manifestement général des griefs formés. La start-up soutient, pour rejeter la plainte, que les plaignants ont adopté une approche « évier de cuisine », si on le traduit littéralement de l’anglais « kitchen-sink approach ». Cette expression idiomatique anglaise qui décrit le fait de mettre tout ce que l’on peut imaginer dans quelque chose, sans filtrer ni prioriser pourrait trouver son équivalent en français d’approche « fourre-tout ».
La société LOVO soulève ainsi le manque de pertinence des faits nouvellement révélés, lesquels, relèveraient selon elle d’un banal « récit émotionnel » centré sur les dangers d’un usage lié à l’intelligence artificielle.
Une telle approche contraste manifestement avec les règles procédurales de notre droit interne. En effet, l’irrecevabilité d’une demande peut être soulevée par le biais d’une fin de non-recevoir, régie par les articles 122 et suivants du Code de procédure civile. Ce moyen de défense permet au défendeur de faire écarter une demande sans examen au fond, pour des motifs tels que le défaut de qualité, d’intérêt à agir, ou encore la prescription.
Cependant, il apparaît peu concevable, en droit français, qu’une action puisse être déclarée irrecevable au seul motif qu’elle serait « trop générale » ou basée sur un « récit émotionnel ».
Sur le fond, LOVO soutient que les plaignants prétendent avoir téléchargé leurs voix sur Fiverr tout en omettant de dire au tribunal que les conditions d’utilisation de Fiverr prévoyaient des licences de droits d’auteur pour les acheteurs de la plateforme Fiverr. Les conditions générales de Fiverr dans leur article 6.1 « Ownership and limitations » sont très claires et accordent tous les droits de propriété intellectuelle à l’acheteur.
Toutefois, l’article suivant traite spécifiquement des prestations de « voix off » avec plusieurs options possibles. Une licence standard autorise une utilisation non commerciale perpétuelle, tandis que des options payantes (Buy-Out) étendent les droits aux usages commerciaux et médiatiques (publicités, TV, radio).
Une licence commerciale accorde des droits perpétuels pour des fins professionnelles. L’achat confère une licence perpétuelle, exclusive, non transférable et mondiale pour utiliser la livraison achetée à des fins commerciales autorisées. Cela signifie toute utilisation à visée professionnelle et exclut strictement toute finalité illégale, immorale ou diffamatoire. Ce qui pourrait être interprété comme interdisant l’exploitation trompeuse ou non consentie de l’identité vocale d’un individu, notamment à travers des clones.
A ce stade, la société LOVO ne démontre pas la délivrance d’une licence totale.
Au-delà de ces faits plusieurs remarques peuvent être faites sur l’argumentaire de LOVO :
Au regard du droit civil new-yorkais, ce dernier ne couvre explicitement que les voix réelles tandis que les plaignants tentent d’élargir cette interprétation.
De plus, LOVO s’appuie sur les conclusions de l’Office du droit d’auteur Américain pour soutenir qu’une voix générée par IA n’est pas protégée, tandis que les plaignants tentent de démontrer en quoi leur cas échapperait à cette exclusion.
Ici, l’argumentaire opposé par LOVO est moins perturbant lorsqu’on essaye de l’appliquer en droit interne. En droit français, il est possible de soulever une irrecevabilité dans le cas où les prétendus auteurs ne justifient pas de leur qualité (défaut de qualité, article 122 du code de procédure civile) ou que l’œuvre n’est pas originale. (Sur ce point des débats subsistent afin de déterminer si elle est une condition de recevabilité de l’action en contrefaçon, ou si elle relève au contraire du débat au fond.)
C’est précisément la parade procédurale que tente manifestement d’employer LOVO en indiquant qu’une voix générée par IA, dépourvue d’intervention humaine, est par essence détachée de tout droit. La société s’appuie donc sur ledit rapport de juillet 2024 de l’Office du droit d’auteur, qui précise qu’« une réplique de l’image ou de la voix seule d’un individu ne constitue pas une violation du droit d’auteur ».
Enfin, la question du fair use dans l’entraînement des modèles d’IA, centrale dans d’autres affaires en cours, reste ouverte. LOVO l’invoque pour justifier son utilisation des enregistrements. Étrangement, dans leur opposition, les plaignants négligent pratiquement de répondre à l’argument du fair use sur l’entraînement des intelligences artificielles.
Suite et portée :
En janvier, les plaignants ont répondu à cette opposition, soutenant que leurs allégations « ne concernent pas les dangers de l’IA, mais les dommages réels subis par des professionnels qui se sont vu confisquer leurs voix et leur image de marque… et qui ont perdu le contrôle de leur carrière et de leur identité professionnelle ».
Une chose est sure, cette affaire s’inscrit dans un débat juridique plus large qui mobilise actuellement les institutions américaines. Le clonage vocal par IA fait l’objet d’une attention croissante, comme en témoignent les récentes initiatives : les lignes directrices de la Federal Trade Comission (novembre 2023), le Tennessee ELVIS Act (mars 2024), le rapport de l’US Copyright Office (juillet 2024) et le projet de loi NO FAKES Act.
Bien que loin d’être unique cette affaire illustre la nécessité de repenser les recours juridiques disponibles face aux violations potentielles facilitées par l’intelligence artificielle générative.
Pour approfondir ces sujets, nous vous invitons à découvrir le post LinkedIn complet, mais aussi pleins d’autres actualités en suivant le lien ci-dessous :
Maître Jonathan Elkaim – Avocat
Alessandro Tummillo – Juriste
Laisser un commentaire