Risque de contamination au COVID-19: chefs d’entreprise, adaptez-vous!
1. Pour toutes les entreprises ne pouvant organiser le travail de leurs salariés autrement que par leur présence physique, le décret du23 mars 2020 « prescrivant les mesures générales nécessaires pour faire face à l’épidémie de COVID-19 dans le cadre de l’état d’urgence sanitaire », complété par le décret du 14 avril 2020, a accordé à ces derniers la possibilité d’effectuer des « trajets entre le domicile et le ou les lieux d’exercice de l’activité professionnelle et déplacements professionnels insusceptibles d’être différés ».
Cette exception à la règle générale du confinement a soulevé la question de la responsabilité pénale du chef d’entreprise du fait du risque de contraction du virus, sur le lieu de travail, par un ou plusieurs de ses salariés.
Il serait une grave erreur de croire que les circonstances exceptionnelles que nous traversons pourraient constituer un motif en faveur des entreprises et leurs dirigeants poursuivis dans le cadre d’une procédure pénale. La solide jurisprudence de la Cour de cassation en cette matière nous assure en effet que la crise du COVID-19 n’y changera rien : le chef d’entreprise doit proposer des adaptations concrètes au sein de son entreprise pour éviter aux salariés tout risque de contamination.
2. C’est par un arrêt fondateur datant de 1950 que la Cour de cassation a affirmé le principe de la responsabilité pénale du chef d’entreprise en matière d’hygiène et de sécurité : celui-ci a l’obligation de «veiller personnellement et constamment à la stricte application par ses subordonnés des prescriptions légales ou réglementaires destinées à assurer la sécurité du personnel » (Cour de cassation, Chambre criminelle, 23 novembre 1950, Bull. crim. no 267).
L’emploi des adverbes « personnellement » et « constamment » témoigne de l’importance accordée par la loi et la jurisprudence à l’implication active du chef d’entreprise dans la sécurité des salariés. Il témoigne également de ce qu’il serait considéré comme le premier responsable en cas de faute. S’il devait se trouver dans l’incapacité de faire respecter cette réglementation par ses salariés, seule une délégation de pouvoirs serait « de nature à décharger le chef d’entreprise de sa propre responsabilité » (Cour de cassation, Chambre criminelle, 22 mai 1973, n°72-90.777).
Dans le cas du COVID-19, le chef d’entreprise doit avoir à l’esprit que l’organisation du travail est susceptible d’exposer ses salariés à un risque de contamination au COVID-19 et donc, potentiellement, à un risque de mort. C’est donc sur le terrain du délit de mise en danger de la vie d’autrui, au sens des dispositions de l’article 223-1 du Code pénal, que la responsabilité pénale du chef d’entreprise doit être appréhendée.
3. Défini par la loi comme « le fait d’exposer directementautrui à un risque immédiat de mort ou de blessure de nature à entraîner une mutilation ou une infirmité permanente, par la violation manifestement délibérée d’une obligation particulière de sécurité ou de prudence imposée par la loi ou le règlement », le délit de mise en danger de la vie d’autrui a trouvé dans l’affaire de l’amiante une application intéressante pour le cas du COVID-19.
La Cour de cassation avait déclaré (Cour de cassation, Chambre criminelle, 19 avril 2017, n° 16-80.695) que « en se déterminant ainsi, par des motifs qui établissent l’exposition d’autrui à un risque de mort, de mutilation ou d’infirmité permanente, en relation directe et immédiate avec la violation manifestement délibérée des dispositions du code du travail, la Cour d’appel a justifié sa décision ». Il ressort donc de cet arrêt deux critères permettant de déterminer si le chef d’entreprise a pu se rendre coupable du délit de mise en danger de la vie de ses salariés : « l’exposition d’autrui à un risque de mort, de mutilation ou d’infirmité permanente » et la « relation directe et immédiate avec la violation manifestement délibérée des dispositions du code du travail »
4. D’une part, le critère de « l’exposition d’autrui à un risque de mort,de mutilation ou d’infirmité permanente » ne pose que peu de difficultés : la contagiosité du virus, à laquelle les autorités ont répondu par des mesures de confinement de la population entière sous peine de sanctions, et le nombre d’hospitalisation et de décès sont tels que le risque de mort est parfaitement établi. Il appartiendra toutefois à l’accusation de démontrer que le salarié était exposé à un tel risque.
A titre d’exemple, un salarié intervenant pour le nettoyage d’un établissement scolaire dans lequel aucun élève n’est présent depuis l’entrée en vigueur du décret précité ne nous parait pas être exposé à un risque de mort, l’absence des élèves et du personnel scolaire empêchant le virus de circuler. La personne contaminée devra, si elle veut mettre en cause son employeur, démontrer en quoi l’accomplissement de son travail l’exposait à un risque de contamination.
5. D’autre part, le critère de la «relation directe et immédiate avec la violation manifestement délibérée des dispositions du code du travail »peut s’avérer plus difficile à établir. En effet, dans le cas du COVID-19, sa contraction peut avoir en tout lieu et à tout moment. Un salarié appelé à se rendre sur le lieu de son travail pourrait l’avoir contracté après avoir été en contact avec une personne ou un objet contaminé se trouvant en un lieu autre que celui de son travail (par exemple au supermarché, auprès d’un membre de sa famille, en touchant une poignée de porte de son immeuble contaminée auparavant par un voisin, etc.).
De ce fait, nous pensons que, dans les circonstances actuelles, l’obligation de respecter les obligations du Code du travail doit être perçu par les employeurs comme un moyen d’empêcher la contraction du virus par les salariés sur le lieu de travail, mais aussi comme un moyen d’établir le fait que la contamination a pu se produire dans un cadre autre que celui du lieu de travail : l’employeur respectueux de ses obligations pourra affirmer que le salarié a contracté la maladie du fait du non-respect, dans sa vie privée, des préconisations sanitaires nationales et non du fait de manquement commis sur son lieu de travail.
6. Outre les obligations à respecter et à faire respecter, nous préconisons des formations régulières des salariés, par tout moyen, avec un rappel régulier des gestes-barrières et des modes d’emplois des produits utiles à empêcher la propagation du virus (utilisation des masques, des gels hydroalcooliques et des gants ; règles de distanciation sociale adaptées à la configuration des locaux de l’entreprise ; entretien par les salariés de leurs locaux ; interdiction d’utiliser les biens communs dont il est possible de se passer comme les machines à boisson, etc.).
Si les salariés sont amenés à manipuler des objets ou des instruments potentiellement vecteurs du virus, l’employeur doit informer ses salariés des risques sanitaires qu’ils encourent à ne pas respecter les préconisations et doit les former à tous les nouveaux gestes à adopter.
La jurisprudence de la Cour de cassation envoie en effet aux chefs d’entreprise, de façon subliminale, le message consistant à les encourager à adapter en permanence leur entreprise face aux défis de l’hygiène et de la sécurité : pour la Haute cour, l’employeur ne peut « ignorer qu’une formation appropriée en matière de sécurité était nécessaire pour permettre au salarié de prendre conscience de la dangerosité potentielle de l’équipement de travail mis à sa disposition ; qu’ils (les juges) en concluent que le prévenu a créé la situation qui a permis la réalisation du dommage et qu’il a commis une faute caractérisée en exposant l’utilisateur de la machine à un risque d’une particulière gravité qu’il ne pouvait ignorer » (Cour de cassation, chambre criminelle, 9 juin 2015, n°14-86469).
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