Cession de droits de propriété intellectuelle à titre gratuit : nullité encourue pour non-respect du formalisme notarial – Cour d’appel de Paris, 13 mars 2024
Le formalisme applicable aux contrats de cession des droits de propriété intellectuelle fait montre d’un certain intérêt devant les juridictions au regard de la jurisprudence dégagée ces derniers mois. Tantôt non-applicable pour un contrat de cession implicite de droit d’auteur entre commerçants (Cour d’appel de Bordeaux 1ere ch. Civ, 11 janvier 2024, n° 23/02805), ce formalisme apparaît ici secondaire lorsque l’acte de cession relatif à une marque et des dessins et modèles est qualifié de donation.
En effet, la Cour d’appel de Paris, par un arrêt rendu le 13 mars dernier (22/05440) a prononcé la nullité d’un contrat de cession de droits de propriété intellectuelle à titre gratuit en ce que ce dernier s’analysait comme une donation n’ayant pas été réalisée devant un notaire, en vertu de l’article 931 du Code civil.
Retour sur les faits et la solution :
Deux associés avaient déposé une marque de l’Union européenne semi-figurative ainsi que plusieurs dessins et modèles en 2014 et 2015 pour l’exploitation d’antennes permettant la réception des données de balises placées dans les colliers de chiens de chasse.
Tous deux étaient associés de deux sociétés. Les produits recouverts par cette marque et ces dessins et modèles étaient également commercialisés par une société dont l’un des deux était seul associé et gérant (le gérant).
Par un contrat conclu sous seing privé en date du 13 juillet 2015, la marque et certains des dessins et modèles précités ont été cédés à cette dernière société.
L’un des anciens associés, titulaire de ces droits, n’étant pas le gérant de cette dernière a dénoncé cette cession. Il a ainsi assigné la société et son gérant en nullité du contrat de cession ainsi qu’en contrefaçon.
Par jugement en date du 8 février 2022, le Tribunal judiciaire de Paris a jugé le contrat de cession nul.
Le gérant de la société a interjeté appel de ce jugement.
Il invoque notamment l’application de l’article L.714-1 alinéa 7 du Code de propriété intellectuelle en lieu et place de l’article 931 du Code civil. Le premier de ces deux articles ne requiert pas l’implication d’un notaire mais seulement un écrit pour la cession de droits réels attachés à la marque.
La Cour d’appel a quant à elle retenu l’application de l’article 931 du Code civil disposant que « Tous actes portant donation entre vifs seront passés devant notaires dans la forme ordinaire des contrats ; et il en restera minute, sous peine de nullité ».
Selon la Cour, il est acquis que seules deux dérogations permettent d’écarter l’application de cet article que sont les dons manuels, ce qui ne peut être le cas de droits de propriété intellectuelle et les donations déguisées ou indirectes.
De plus la Cour relève « qu’aucune stipulation du contrat ne permet de conclure qu’il ne s’agirait pas d’une véritable donation, (…) aucune contrepartie n’étant clairement évoquée à la charge du cessionnaire (…) ».
La Cour rappelle également en vertu d’une jurisprudence de la Cour de cassation (Cass. Com., 7 mai 2019, n° 17-15261), que toutes les personnes à l’exception de celles déclarées incapables peuvent disposer par donation entre vifs.
Ainsi et contrairement à l’argument du gérant estimant que l’article 931 du Code civil ne peut s’appliquer qu’entre « vifs », la Cour aime à rappeler que les personnes morales ne sont nullement exclues du bénéfice des dispositions précitées.
De plus, la Cour considère que l’article L.714-1 alinéa 7 du Code de propriété intellectuelle énonçant que « la cession des droits attachés à la marque est constatée par écrit à peine de nullité », qui n’envisage pas « le cas où le titre serait cédé à titre gratuit » ne permet pas d’établir ici une règle spéciale dérogeant à l’article 931 du Code civil.
Par conséquent, ce dernier trouve parfaitement à s’appliquer en l’espèce, contrairement à ce que soulève l’appelant.
Enfin, la Cour d’appel relève que la validité même de l’acte de cession est suspecte en ce que la signature de l’intimé ne correspond pas à sa véritable signature. S’ajoute à cet élement, des doutes quant à la validité de la date du contrat de cession.
Ainsi et sur ce point, l’argumentaire de la Cour d’appel ainsi énoncé permet de confirmer le jugement prononcé le 8 février 2022 par le Tribunal judiciaire en ce qu’il déclare nul le contrat de cession des droits de propriété intellectuelle au profit de la société en cause, en date du 13 juillet 2015.
Jonathan Elkaim – Avocat
Eden Tercero – Juriste
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