Affaire Benjamin Mendy : respect de la procédure et pratique de la patience – JCP G, édition du 31 juillet 2023
La justice londonienne a rendu le 14 juillet dernier sa décision finale dans l’une des affaires les plus glaçantes du football professionnel. Benjamin Mendy, champion du monde 2018 et pilier de la défense de Manchester City, accusé de huit viols, d’une tentative de viol et d’une agression sexuelle commis sur sept femmes entre octobre 2018 à août 2021, était définitivement acquitté de tous les chefs qui le visaient.
C’est pourtant un procureur déterminé qui, à l’ouverture du procès le 10 août 2022, tombait dans le piège des raccourcis dont les sportifs sont régulièrement la cible : « Cela n’a pas grand- chose à voir avec le football. C’est en effet un autre chapitre d’une histoire très vieille : des hommes qui violent et agressent des femmes car ils pensent qu’ils ont le pouvoir et parce qu’ils pensent qu’ils s’en tireront sans conséquence ».
Le 13 janvier 2023, après quatorze jours de délibération, le jury de la Crown Court of Chester rendait un verdict aux allures de naufrage judiciaire : l’acquittement pour six viols commis sur quatre femmes, et pour une agression sexuelle commise sur une cinquième. Les deux charges demeurées sans verdict, faute pour les jurés de parvenir à une décision, conduisaient le footballeur à comparaître une nouvelle fois devant la Cour de Chester, pour ce dernier procès qui trouva son épilogue le 14 juillet dernier. À l’instar de toutes les affaires qui agitent le monde du sport et du showbiz, nombre de commentateurs n’avaient pas hésité à jurer son affaire à peine commencée déjà terminée. Et malgré l’acquitte- ment prononcé le 13 janvier 2022, la BBC continuait d’écrire, d’une plume subtile attaquant l’image du joueur plutôt que l’inanité des accusations : « Malgré son acquittement de toutes les charges sauf deux, Benjamin Mendy a peut- être encore du mal à ébranler l’image qu’il a de lui au tribunal – un multimillionnaire fou de sexe, incontrôlable ».
À la sortie de l’audience le 14 juillet, la question pour le joueur était de savoir si un club placerait à nouveau sa confiance en lui. L’acquittement ayant succédé à la présomption d’innocence, Benjamin Mendy est entré en justice innocent, pour en sortir plus innocent encore. La Crown Court de Chester l’a acté, permettant à sa vie professionnelle de trouver un nouvel élan. Le FC Lorient annonçait ainsi le 19 juillet avoir signé un contrat avec le joueur.
L’application honnête de nos principes nous encourage à nous interroger sur notre rapport à la présomption d’innocence et à la patience – longue comme le temps de la procédure – qu’elle exige de nous. La fumée peut-elle avoir une origine autre que le feu ? Cette affaire nous le prouve. Elle nous montre combien les accusations et les versions à charge occupent la presse et les médias, face à une défense en manque de temps, d’informations et d’intérêts pour y répondre. Quelle raison y aurait-il à réagir par la voie médiatique lorsque seule la procédure judiciaire est en mesure d’acquiescer et de donner force à l’innocence clamée ?
Il est un réflexe presque naturel de croire que la multiplicité des accusations serait gage d’une culpabilité inutile à démontrer. La procédure pénale française ne protège pas l’accusé contre les concertations auxquelles les plaignants sont susceptibles de se livrer, en y impliquant parfois les témoins qui leur sont proches. Ces arrangements avec la vérité sont même facilités par la possibilité pour eux de désigner le même conseil. Et si la défense venait à noter une convergence progressive des versions portées par les plaignants, il ne manquera jamais d’un magistrat pour y apporter une explication triviale : le temps nécessaire aux plaignants pour qu’ils consolident leur version est le salaire du courage que leur dénonciation implique.
À l’inverse, toute évolution chez l’accusé reviendrait à retenir à son encontre un élément à charge, tant l’idée est acquise qu’un innocent ne doit éprouver aucune difficulté à répondre, et ce dès le début de la procédure dont il est l’objet. Il arrive pourtant que des plaignants se méprennent sur les conditions constitutives des infractions qu’ils dénoncent. La procédure a parfois ce mérite de les éclairer sur ce que la société considère comme un trouble à l’ordre public. Car se considérer soi-même victime ne revient pas à l’être au regard de la loi et les considérations personnelles, ou même collectives, ne sauraient faire loi. En tout état de cause, cette affaire Benjamin Mendy vient nous rappeler qu’une procédure longue et scrupuleuse est la garantie d’une justice transparente. Celles et ceux qui militent pour une justice rapide pensent militer pour une réponse judiciaire ferme. Ils ne font en réalité qu’ajouter du marasme au marasme, inconscients de la faillite judiciaire qu’ils voudraient associer à leur propre faillite morale.
Sahand SABER – Avocat au Barreau de Paris
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