L’avenir du statut d’hébergeur des plateformes basées sur le contenu général d’utilisateurs : Un premier indice avec la saga Youtube?

L’article 6-I-2 de la loi pour la confiance dans l’économie numérique (LCEN) du 21 juin 2004 donne une définition claire du statut d’hébergeur, qui par nature, se distingue de celle d’éditeur.

Les hébergeurs « assurent, même à titre gratuit, pour mise à disposition du public par des services de communication au public en ligne, le stockage de signaux, d’écrits, d’images, de sons ou de messages de toute nature fournis par les destinataires de ces services ».

L’activité d’éditeur, par référence à la définition d’éditeur de service de média audiovisuel donné dans les lois n° 86-1067 du 30 septembre 1986 et n° 2009-258 du 5 mars 2009 se définit par une « maîtrise éditoriale » sur les contenus, et une mise à disposition d’un contenu original.

Les praticiens et experts chevronnés de la propriété intellectuelle le savent, une telle qualification est rarement dévolue aux plateformes en ligne dont le contenu est édité par leurs usagers (GCU).

Le géant « YouTube », membre de la très prestigieuse, mais non moins décriée, alliance GAFA, en sait quelque chose puisqu’elle s’est vue fréquemment accorder la clémence liée au statut d’hébergeur.

L’analyse de son objet ne permet d’ailleurs pas d’en douter dès lors qu’il fait référence à la mise en ligne et au partage de vidéos sans distinction de contenus.

Pour autant, les actions judiciaires et décisions rendues en 2018, au même titre que la récente adoption par le Parlement et le Conseil Européen de la directive « sur le droit d’auteur et les droits voisins dans le marché unique numérique » du 15 avril dernier, semblent renforcer les conditions présidant à cette qualification.



La remise en cause de la neutralité de la société Youtube dans le cadre du contenu diffusé sur sa plateforme

On le sait, la mise en œuvre d’un régime spécifique de responsabilité pour les hébergeurs, est subordonnée au fameux « rôle actif »[1] du prestataire dans le cadre des contenus mis en ligne.

La Cour de Justice de l’Union Européenne aime souvent à rappeler que l’activité d’hébergement a un « caractère purement technique, automatique et passif », nécessitant que le prestataire « n’a pas la connaissance ni le contrôle des informations transmises ou stockées »[2].

Dire que cet arrêt a eu une influence majeure sur la qualification d’hébergeur relève de l’euphémisme, tant celle-ci a été retenue lorsque l’activité des sites internet étaient enrichies par le contenu d’internautes, même peu regardants sur les principes du droit d’auteur[3].

La Société YouTube a d’ailleurs été l’objet des largesses offertes par un tel statut[4], étant à de très rares occasions, rappelée à l’ordre lorsque celle-ci ne retirait pas « promptement » un contenu illicite conformément à l’article 6 de la LCEN[5] .

Cette qualification a toutefois trouvé une première contestation étrangère dans un jugement rendu par le tribunal de commerce de Vienne le 5 juin 2018.

La juridiction autrichienne avait en effet jugé que la société américaine avait joué un rôle actif dans la diffusion d’œuvres littéraires contrefaisantes « du fait des liens, tris et filtres opérés, notamment la création de sommaires par catégories, l’examen des comportements des utilisateurs et l’offre de propositions de contenus sur mesure »[6].

Ainsi et au regard des mesures entreprises, « YouTube ne relèverait plus du domaine d’un intermédiaire neutre » de sorte que la neutralité tant attachée à sa qualité d’hébergeur, synonyme d’irresponsabilité, ne pouvait plus trouver application.

Dès lors et à raison de cette participation active à la diffusion de contenus diffusés par les utilisateurs, en l’absence d’accord des titulaires de droit, Youtube se voyait qualifiée de co-auteur d’actes contrefaisants et condamnée en cette qualité.

Et comme un effet papillon, voici que la Cour suprême allemande a saisi la Cour de Justice de l’Union Européenne dans un arrêt du 13 septembre 2018, de plusieurs questions concernant la responsabilité de la société Youtube, au titre de contenus téléchargés sur la plateforme internet éponyme en violation des règles du droit d’auteur[7].

En substance, un producteur a sollicité de la plateforme vidéo Youtube LLC ainsi qu’à sa société mère Google Inc, de s’engager par écrit à ne plus reproduire ou communiquer au public les enregistrements sonores ou œuvres musicales dont il est titulaire.

Malgré une première suppression assurée par Youtube, d’autres vidéos diffusant les contenus protégés ont été de nouveau disponibles à la diffusion, justifiant une action judiciaire du producteur.

Les juridictions de premier degré ayant donné de gain de cause en majeure partie au demandeur[8], la Cour suprême allemande, saisie d’un pourvoi par les deux parties, a décidé de surseoir à statuer et d’adresser plusieurs questions préjudicielles à la Cour de Justice aux fins notamment de savoir si YouTube pourrait encore relever du statut d’hébergeur, tel que prévu par l’article 14.1 de la Directive 2000/31/CE du 8 juin 2000.

Une telle question préjudicielle est de surcroît posée en considération de plusieurs facteurs tels que :

La perception de recettes publicitaires par la plateforme en cause ;
Le téléchargement des fichiers contrefaisants opéré de manière automatique en l’absence de contrôle a priori ;
L’information apportée à chaque utilisateur aux termes des conditions d’utilisation selon laquelle le téléchargement d’œuvres protégées en l’absence d’accord des titulaires ne doit pas être initié ;
La fourniture d’outils permettant aux ayants droit de supprimer tout contenu contrefaisant ;
La classification des vidéos en fonction des contenus ;
La proposition de vidéos orientées en fonction de celles déjà visionnées.

Il convient d’ailleurs de préciser que la question de l’application du statut d’hébergeur ne concerne pas uniquement YouTube mais bien les plateformes GCU de manière globale, puisque la Cour suprême allemande a de nouveau saisi la Cour de Justice le 20 septembre 2018 concernant la responsabilité d’un autre service d’hébergement ayant a priori mis à la disposition du public des contenus contrefaisants[9].

Dans cette espèce, une société proposant un service de share-hosting permettait à tout utilisateur de disposer d’un espace de stockage gratuit permettant la mise en ligne de contenus pouvant être librement consultés au moyen d’un lien électronique créée par celle-ci et communiqué automatiquement à l’usager.

En dépit de l’interdiction mentionnée dans ses conditions d’utilisation, cette société s’est vue alertée à plusieurs reprises sur le contenu illicite s’y trouvant sans y remédier, entraînant la mise en œuvre de sa responsabilité en qualité d’intermédiaire technique, en l’absence néanmoins de tout versement de dommages et intérêts et d’astreinte à communiquer les renseignements sur les données des utilisateurs.

Saisi par un pourvoi, la Haute juridiction allemande a sollicité la CJUE afin de savoir si le régime du statut d’hébergeur serait le mieux applicable à cette société.

Simple hasard ou coïncidence, ces questions préjudicielles intervenues à une semaine d’intervalle, ont été posées à quelques jours seulement du premier vote par le Parlement de la Directive « sur le droit d’auteur et les droits voisins dans le marché unique numérique », laquelle consacre désormais une nouvelle définition du statut d’hébergeur.



Sur la clarification du statut d’hébergeur appliquée aux plateformes GCU par la Directive communautaire « sur le droit d’auteur et les droits voisins dans le marché unique numérique»

Le Considérant 64 de la Directive dispose, afin de « clarifier » toute éventuelle incompréhension, que « les fournisseurs de services de partage de contenus en ligne effectuent des actes de communication au public ou un acte de mise à la disposition du public lorsqu’ils donnent au public l’accès à des œuvres protégées par le droit d’auteur ou d’autres objets protégés que leurs utilisateurs ont téléversés ».

Cela suppose en conséquence que ces « fournisseurs de services de partage de contenus en ligne » doivent obtenir l’accord des titulaires de droits concernés.

Et au cas où cela n’aurait pas été assez clair, l’article 17 prend soin de rappeler ce principe tout en rappelant à l’alinéa 4, qu’à défaut d’obtenir une telle autorisation, ces plateformes « sont responsables » de tels actes de communication, de sorte que « l’article 14 paragraphe 1, de la directive 2000/31/CE ne devrait pas s’appliquer à la responsabilité découlant de la disposition de la présente directive »[10].

Le régime juridique offert par le statut d’hébergeur laissera donc la place à celui d’éditeur en l’absence de justification d’une autorisation expresse des titulaires de droit, sauf si la plateforme en cause parvient à démontrer :

Qu’elle a tout mis en œuvre pour obtenir cette autorisation ;
Qu’elle a pris toutes les mesures nécessaires et proportionnées pour interdire de manière durable l’accès aux œuvres contrefaisantes,
Qu’elle n’a pas agit promptement, à la suite d’une notification préalable « suffisamment motivée de la part des titulaires de droits» pour en supprimer l’accès.

Ainsi, l’on comprend qu’un service de contenu en ligne, ne justifiant pas d’une licence octroyée par les ayants-droit, sera soumis à une obligation quasi générale de surveillance puisqu’outre le fait de démontrer qu’il a mis tous les moyens nécessaires pour supprimer l’œuvre, après en avoir été préalablement informé, celui-ci devra également justifier de la mise en place de mesures de filtrage permanentes sur sa plateforme.

Or, exiger de l’hébergeur, à la suite d’une seule notification, fusse-t-elle motivée, et indépendamment de toute injonction judiciaire, qu’il s’assure qu’aucune œuvre ayant fait l’objet d’une notification antérieure ne soit reproduite, reviendrait à lui imposer une obligation générale de surveillance, exclut par l’article 6-I-5 de la LCEN.

La Cour de cassation avait déjà eu l’occasion, au sujet de la société Google, de rappeler que l’obligation pesant sur un hébergeur tendant à empêcher la mise en ligne d’un contenu déjà signalé comme attentatoire à des droits, outrepasse le champ d’application de la LCEN[11].

En outre, il convient de rappeler que des plateformes de partage de vidéos ont mis en place depuis plusieurs années, des systèmes de marquage numérique des contenus mis en ligne.

Youtube, en tête de liste, a notamment mis en place un système d’identification de contenus baptisé, « Content ID » lui permettant de réaliser une empreinte numérique de vidéos et d’empêcher une remise en ligne éventuelle de toute œuvre contrefaisante.

Une décision avait d’ailleurs été rendue à ce titre par la Cour d’appel de Paris[12], laquelle appelait à une collaboration des titulaires de droit pour appliquer une telle mesure technique en jugeant :

« qu’il n’appartenait pas à la société YouTube de générer, de sa propre initiative et sans contrôle des ayants droit, des empreintes sur les contenus objets de la première notification ».

Au demeurant, la Cour d’appel estimait qu’une telle mesure de surveillance à la charge des titulaires de droits ne lui paraissait « ni disproportionnée, ni d’un exercice complexe » de sorte que toute abstention de leur part pouvait être assimilée à une « faute ».

Dès lors, il sera intéressant de voir comment les juridictions nationales interprèteront ces jurisprudences à l’aune de la Directive.

En effet, si une plateforme de services en ligne justifie avoir tout mis en œuvre pour obtenir l’autorisation des ayants-droits sans succès, puis que dans l’intervalle, celle-ci se heurte de nouveau à leur accord pour mettre en place un système d’identification de contrefaçons, est ce que cela signifie qu’elle n’aura pas satisfait aux conditions de l’alinéa 4 de l’article 17 ?

De même, et si l’on en croit les enseignements de la Cour d’appel, la faute ne serait – elle pas être imputable aux ayants-droit ?

Ces nouvelles dispositions, saluées pour leur caractère incitatif vis à vis des plateformes GCU à protéger les droits des auteurs, devront nécessairement être clarifiées à l’avenir.

Les plateformes de contenus en ligne sont néanmoins prévenues, il faudra montrer patte blanche afin d’éviter les affres du régime tant redoutées de l’éditeur.

A bon Youtuber.

Sources:


[1] Posé par l’arrêt CJUE, 23 mars 2010, aff. C-236/08 à C-238/08, Sté Google c/ Sté Louis Vuitton Malletier

[2] Considérant 42 de l’arrêt CJUE, 23 mars 2010/ aff. C-236/08 à C-238/08, Sté Google c/ Sté Louis Vuitton Malletier

[3] Cass. 1re civ., 17 févr. 2011, n° 09-67.896, CA Paris, pôle 5, ch. 1, 2 déc. 2014, n° 13/08052, TF1 et a. c/ Dailymotion et a. : JurisData n° 2014-029711

[4] CA Paris, pôle 5, ch. 2, 21 juin 2013, n° 11/09195, Sté des producteurs de phonogrammes en France [SPPF] c/ YouTube, Google

[5] TGI Paris, 3e ch., 1re sect., 29 mai 2012, TF1 et a. c/ YouTube : www. legalis.net jugeant que le retrait d’un contenu dans un délai de 5 jours était insuffisant

[6] Tribunal de commerce de Vienne du 5 juin 2018

[7] Affaire I ZR 140/15 – YouTube

[8] Tribunal de Grande Instance de Hambourg, 3 septembre 2010

[9] Affaire I ZR 53/17 – Uploaded

[10] Considérant 65 de la Directive sur le droit d’auteur et les droits voisins dans le marché unique numérique

[11] Cour de cassation 12 juillet 2012 n°11-13666

[12] Cour d’appel de Paris, 21 juin 2013 n°11/09195

Article publié sur le Village de la Justice par Maître ELKAIM, Avocat.

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