Village de la justice – Pourquoi le Tribunal criminel ne doit pas voir le jour
Chaque réforme judiciaire apporte son lot de mauvaises nouvelles. Les finances, les moyens humains, l’opinion publique et la vindicte généralisée à l’encontre d’une institution dont on ne sait si on lui reproche la condamnation d’innocents ou l’indulgence à l’égard des coupables… autant de préoccupations que les gouvernements successifs n’ont pas su traduire en des réformes fidèles à l’esprit des Lumières. Car c’est bien de cet esprit qu’il s’agit, de la colonne vertébrale de notre culture, et de la façon dont notre identité française doit s’exprimer à travers nos institutions et en société.
Le Chevalier de la barre et Jean Calas sont devenus des « affaires » car elles mettaient les Français face à leur propre absurdité. En faisant des citoyens des électeurs, nos institutions nous imposent de déterminer notre propre destin ; en les faisant jurés, elles nous obligent à être irréprochables dans le pacte social qui nous lie ensemble.
Un Tribunal criminel donc, qui se passerait désormais des jurés populaires. Quelle idée… Jusqu’en 1941, les jurés délibéraient seuls sur la culpabilité de l’accusé, sans la présence des Magistrats professionnels. Ce système continue à fonctionner en Angleterre et aux Etats-Unis. La France a donc préféré maintenir cet héritage du Maréchal Pétain, sombre justicier…
Aujourd’hui, exit le peuple. Seuls les Magistrats professionnels devraient pouvoir rendre cette justice ultime, celle qui juge les crimes pour lesquels la peine encourue est de vingt ans. Seuls des magistrats professionnels, parlant au nom du peuple mais sans être élus, devraient pouvoir dire si la société peut accorder une place à ces hommes et femmes qui comparaissent.
Ce n’est plus une réforme judiciaire, mais une rupture culturelle.
Évidemment, une justice équitable et conforme à des principes qui ont mis des siècles à voir le jour coûte cher. Et dans le même temps, il faut juger.
Solution simple : accuser l’actuelle Cour d’assises et ses lourdeurs. Elle serait désormais responsable des difficultés pour la justice d’accomplir son œuvre. La présence des jurés serait la cause d’une justice qui coûte cher. Inutilement cher. Et avec une efficacité limitée.
Car comme tout le monde le sait, les magistrats pourraient faire le travail seuls. Et un jour peut-être, faute de vouloir donner à la justice les moyens d’engager davantage de magistrats, et refusant de se pencher sur la qualité du travail de leur travail, on inventera les Tribunaux criminels à juge unique.
La justice, qui se dit pourtant attentive à la situation de chaque accusé, s’engagerait nécessairement vers une aggravation des peines prononcées : le Tribunal criminel, c’est l’assurance que les Juges d’instruction ne disqualifieront pas les infractions poursuivies, avec cette question qui ne les taraudera plus : « les faits sont-ils vraiment de nature criminelle ? Dois-je vraiment rendre une Ordonnance de mise en accusation plutôt qu’une Ordonnance de renvoi devant le Tribunal correctionnel ? A-t-on vraiment besoin d’une Cour d’assises pour juger ces faits ? Et ces hommes ? »
Le Tribunal criminel, c’est également l’assurance qu’un accusé, qui réfute les charges qui pèsent contre lui, ne saisira pas la Chambre de l’instruction en vue d’une requalification criminelle de faits correctionnalisés. Parce que la Cour d’assises, c’est aussi la possibilité de refaire le dossier de la procédure, de soulever les incohérences des services enquêteurs, d’interroger les témoins et les experts sur leurs constatations. Et parfois, démontrer que tout le monde, dans la procédure, s’est trompé. Et il arrive régulièrement que tout le monde se trompe : on dénombrerait 200 à 300 acquittements par an en France.
Pas certain que le Tribunal criminel voulu par le gouvernement aille dans le même sens.
Le problème demeure structurel, avec la séparation du Parquet du Siège : aussi longtemps que le Parquet et le Siège proviendront des mêmes rangs, avec la possibilité de s’échanger leurs représentants, le Tribunal criminel sera une juridiction de l’accusation, comme cela semble déjà courant devant certains tribunaux, où le sort du prévenu est déjà scellé, le débat écarté, l’espoir anéanti.
Rappelons-nous donc de cet élan rhétorique qui pourrait désormais toucher le jugement des crimes : « Citoyens, je vous parlerai ici avec la franchise d’un homme libre : je cherche parmi vous des juges et je n’y vois que des accusateurs ».
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